dimanche 8 avril 2018

Zéro sans-domicile en Europe en 2030 ?

La Fondation Abbé-Pierre et la Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans-abri proposent aux autorités locales, nationales et européennes cinq orientations pour éradiquer le sans-abrisme en Europe. Elles mettent en garde contre quatre écueils qui menacent l’efficience et l’impact des politiques en faveur des personnes privées de domicile. En France, après la diminution des aides personnelles au logement, le projet de loi portant Évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Elan) table sur la vente de 40 000 logements sociaux par an et le bail mobilité. Trois facteurs qui expliquent l’explosion du sans-abrisme outre-Manche.


Où est l’Europe sociale ? Loin, bien loin si l’on en juge par le 3e Regard sur le mal-logement en Europe (RMLE) qui focalise cette année la question du sans-abrisme.
Alors que le logement se transforme de plus en plus en un simple bien, produit financier, au détriment de la vision d’un droit fondamental garanti pour tous, la Fondation Abbé-Pierre (FAP) et la Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans-abri (FEANTSA) relèvent un accroissement du nombre des « laissés-pour-compte de la croissance retrouvée ».
Les enfants constituent le premier groupe accueilli dans les hébergements d’urgence et les femmes, les jeunes, les migrants et les travailleurs pauvres sont les nouveaux visages du dehors.

sans-abri
© Kara-AdobeStock

Des politiques inadaptées et contre-productives

Les deux producteurs du cru 2018 du RMLE dénoncent « des politiques inadaptées et contre-productives », « la profonde méconnaissance des situations des personnes sans domicile », résultant du « manque de suivi quantitatif et qualitatif rigoureux de l’exclusion au logement ».
Ainsi l’hébergement d’urgence est-il souvent vu comme une mise à l’abri temporaire au lieu d’être la première étape d’un parcours résidentiel et de déboucher sur une sortie vers le logement.
Un logement qui est un moyen et non une fin, un « droit fondamental garanti par les traités internationaux et européens », rappelle le RMLE.

Source : Gazette Santé Social, 22/03/2018. 



D’un objectif de gestion à un objectif d’éradication du sans-abrisme

Le positionnement de la plupart des gouvernements européens est d’autant moins compréhensible et justifiable que de nombreuses initiatives apportent des éléments de réponse.
Ainsi, en Europe, se propagent l’investissement dans le logement social et très social, l’usage de la vacance immobilière comme opportunité pour le logement abordable, la socialisation du parc locatif privé, la pratique de baux intermédiaires – propriété partagée ou temporaire –, les coopératives d’habitation, le logement modulaire, les clauses anti-spéculatives des Community Land Trusts – les organismes de foncier solidaire en France.
« Des stratégies intégrées modèles, passant d’un objectif de gestion à un objectif d’éradication du sans-abrisme, ont démontré leur efficacité, notamment en Finlande », explique le rapport.

Produire des logements dignes et abordables

La FAP et la FEANTSA lancent donc un appel à l’action en direction des autorités locales, nationales et européennes pour « éradiquer le sans-abrisme » d’ici à 2030 au moyen d’une « transformation systémique, portée par de réelles volontés politiques ».
Elles demandent des stratégies visant la « production de logements dignes et abordables », et l’intégration à la réflexion des « politiques sectorielles, de santé, d’emploi, de protection sociale, de formation, de migration, de justice », afin d’aboutir à une action coordonnée.

Cinq orientations, quatre écueils

Le rapport se veut « une source d’inspiration » et une « base d’action ». Il propose cinq orientations à adopter :
  • la mise au centre de l’usager et de ses droits ;
  • le principe du logement d’abord ;
  • un financement adéquat dans une vision d’investissement à long terme ;
  • une stratégie continue et constante portée par un volonté politique forte ;
  • une convergence des acteurs par une gouvernance multi-niveau.
Il met aussi en garde contre quatre écueils qui menacent l’efficience et l’impact des politiques de réduction du sans-abrisme :
  • une politique nationale allégée qui délègue les compétences aux autorités régionales et locales qui permet de revoir à la baisse les objectifs, les moyens, la continuité et la responsabilisation des acteurs ;
  • la « politique de papier » qui élabore une stratégie de bonnes intentions sans moyen pour s’y tenir ;
  • une politique nationale ambitieuse de lutte contre la situation des personnes sans domicile contredite par des politiques locales qui en sabotent les effets en restreignant l’accès aux services d’aide ou en criminalisant les personnes sans-domicile ;
  • le danger de ne pas associer une stratégie de lutte contre le sans-abrisme à une politique efficace de logement décent et abordable pour tous.

Projet de loi Elan : un modèle qui n’a pas fait ses preuves

Parmi les pays européens, seule la Finlande se démarque, avec une baisse de 18 % du nombre de personnes sans domicile (6 644 personnes en 2016) alors que les treize autres pays étudiés dans le 3e RMLE présentent des statistiques désastreuses.
La palme revient à l’Angleterre qui a connu une croissance du nombre de personnes privées de domicile de 169 % entre 2010 et 2017. Cette hausse s’explique, note le rapport, par la politique menée, qui a conjugué des « coupes importantes dans les aides au logement », la « vente de nombreux logements sociaux » et le « développement de contrats de location précaire ».
Inquiétant pour la France où le premier élément a été mis en œuvre par la loi de finances pour 2018. Les deux autres figurent en bonne place dans le projet de loi portant Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Elan) qui sera présenté en conseil des ministres le 4 avril prochain.

Source : Gazette Santé Social, 22/03/2018.

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