Le film d'Abderrahmane Sissako a raflé sept récompenses lors d'une cérémonie interminable, ne laissant que des miettes aux autres favoris.
Abderrahmane Sissako avec les sept césars de «Timbuktu», vendredi soir. (Photo Bertrand Guay. aFP) |
Le
suspense, au contraire de la cérémonie, n’aura pas duré. En s’arrogeant
dès la première demi-heure de la remise des prix un applaudimètre au
top et les premières distinctions pour lesquelles il concourrait dans
les catégories techniques, Timbuktu s’est imposé presque
aussitôt comme l’aspirateur à récompenses de ces césars 2015. Meilleur
film, meilleur réalisateur, meilleur montage, meilleur photo, meilleur
scénario original, meilleur son, meilleure musique… Avec sept bibelots
dorés glanés sur huit possibles, le film d’Abderrahmane Sissako n’a
laissé à ses principaux concurrents que les trophées pour lesquels on
n’avait pas songé à le nommer (celui du meilleur film d’animation).
Porté sans doute autant par son vif succès en salles (plus de 730 000
entrées en France, avant probable ressortie massive dès mercredi
prochain) qu’un climat post-attentats forcément présent à l’esprit des
votants, Timbuktu dépeint sur un mode calme et douloureux la
dévastation humaine et culturelle d’une communauté par l’irruption de
l’ordre jihadiste, lors de la guerre de l’Azawad démarrée, en 2012, au
Mali.
Le
communiqué officiel de Frédérique Bredin, présidente du CNC, envoyé
quelques minutes après la fin de la cérémonie, saluait ainsi, quitte à
tout mélanger, «un chant de lutte contre la barbarie et chant
d’espoir humaniste, qui manifeste de façon éblouissante la force et
l’importance du cinéma, dans ces temps dramatiques, pour faire vivre la
liberté d’expression et de création et pour faire dialoguer les
cultures». Le cinéaste mauritanien, éligible aux césars du fait de
sa production française (les Films du Worso de Sylvie Pialat) et oublié
du palmarès cannois en mai dernier malgré déjà un accueil euphorique, se
trouve ainsi érigé en emblème d’humanisme universaliste. En attendant
les oscars de dimanche soir, où il concourt dans la catégorie meilleur
film étranger. Dans son long discours, Abderrahmane Sissako a notamment
affirmé «qu’il n’y a pas de choc des civilisations, mais bien une rencontre des civilisations».
Pour
le reste, les votants, dans une sorte de crise aiguë de jeunisme ont
semblé dire un grand ouste à tous les croulants qui, trentenaires ou
plus, prétendaient à quelque récompense que ce soit. Ainsi des
principaux prix d’interprétation, revenus à Adèle Haenel (meilleure
actrice pour les Combattants, 26 ans), Pierre Niney (meilleur acteur pour Yves Saint Laurent, 25 ans) ou à la teen-idol de passage Kristen Stewart (meilleure second rôle pour Sils Maria, 24
ans). Mais aussi du récipiendaire du prix du meilleur film étranger,
Xavier Dolan (25 ans), inexplicablement absent alors que, à notre
connaissance, nulle nomination aux oscars n’interdisait sa présence. La razzia Timbuktu n’aura permis à Saint Laurent de Bertrand Bonello (meilleurs costumes), Sils Maria d’Olivier Assayas (le prix alloué à Kristen Stewart), Yves Saint Laurent de Jalil Lespert (Pierre Niney, meilleur acteur masculin), la Famille Bélier d’Eric Lartigau (meilleur espoir féminin à Louane Emera) et Hippocrate (meilleur second rôle masculin pour Reda Kateb) que de se partager presque équitablement les miettes.
Dans l’ombre de Sissako, les Combattants,
l'enthousiasmant premier film de Thomas Cailley, s’affirme en revanche
discrètement en dauphin, avec tout de même trois prix, et pas des
moindres (meilleur premier film, meilleure actrice et meilleur espoir),
tandis que Bande de filles de Céline Sciamma et Eastern Boys
de Robin Campillo repartent bredouille. A part cela, l’info majeure de
la soirée s’est révélée que Kévin Azaïs, couronné meilleur espoir
masculin dans les Combattants, n’est autre que le petit frère de l’acteur Vincent Rottiers (lui-même meilleur espoir masculin en 2010).
Comme
chaque année, la cérémonie a offert en outre un spectacle éclaboussant
de laisser-aller latin et d’incapacité chronique à contrôler quoi que ce
soit, sous le regard fatigué de Sean Penn, au-delà de l’overdose d’UV,
et d’un Edouard Baer au bout du rouleau - et nous avec. A la suite d’un
dérapage de plusieurs fuseaux horaires (trois heures cinquante-quatre
!), on soupçonne l’Académie de convoquer dès demain un conseil de
surveillance extraordinaire, avec pour principal ordre du jour :
«Discours sans fin, plus jamais ça.» Et pourtant cette année : pas
l’ombre d’un intermittent vindicatif, rien sur la convention collective,
tout juste un vibrant éloge par le président de la cérémonie, Dany
Boon, de la richesse du cinéma français, juste avant d’affréter son jet
pour Los Angeles.
Libération, 21/02/2015.
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire