lundi 9 février 2015

Cancers : cap sur l’immunothérapie

D’abord, un cocorico : parmi les  5 000 communications présentées au congrès annuel de l’Association américaine d’oncologie clinique (American Society of Clinical Oncology ; ASCO), qui s’est tenu à Chicago (Illinois) du 30 mai au 3 juin, près de 10 % ont au moins un auteur français. Un score en nette hausse par rapport à 2013, et qui place la France au premier rang des pays européens, se réjouit l’Institut national du cancer (INCa).


Ensuite, une bouffée d’oxygène pour les chercheurs et surtout pour les patients.  De nombreuses études présentées à cette 50e édition de l’ASCO confirment que l’immunothérapie est bien une nouvelle arme thérapeutique contre les cancers. Cette approche permet même, dans certains cas, d’avoir des espoirs de guérison pour des tumeurs métastastiques, notamment les mélanomes.
Alors que les traitements anticancéreux classiques cherchent à détruire les cellules malignes, l’immunothérapie consiste à mobiliser nos propres cellules de défense pour faire ce travail. Les cellules cancéreuses ont en effet acquis la fâcheuse capacité d’échapper au contrôle des lymphocytes T, chargés d’éliminer les éléments étrangers de notre organisme.
L’idée de l’immunothérapie date de plus d’un siècle, mais les multiples tentatives (vaccins, médicaments, tels l’interféron) se sont longtemps révélées décevantes. Aujourd’hui, les succès se multiplient avec des stratégies plus modernes : anticorps d’action ciblée, nouveaux vaccins et même thérapies cellulaires.

RÉMISSION COMPLÈTE

La donne a commencé à changer en 2010 avec un anticorps monoclonal, l’ipilimumab, qui, pour la première fois, a permis de prolonger la survie de patients atteints de mélanomes métastatiques, des tumeurs quasi insensibles à la chimiothérapie. Le taux de réponse obtenu (une activité chez environ un malade sur cinq) pouvait sembler modeste et la toxicité importante (réactions auto-immunes notamment digestives, sévères, voire mortelles), mais les résultats étaient inédits. Certains de ces patients sont d’ailleurs toujours en rémission complète avec, jusqu’à dix ans de recul, même si leurs médecins sont réticents à prononcer le mot de « guérison ».
Désormais commercialisé sous le nom de Yervoy (laboratoires Bristol-Myers-Squibb) pour le traitement des mélanomes métastatiques, l’ipilimumab agit en bloquant un récepteur des lymphocytes T appelé « CTLA-4 », récepteur qui joue un rôle de frein du système immunitaire. En neutralisant ce frein, l’ipilimumab libère en quelque sorte les défenses de l’organisme contre la tumeur.
Pour savoir s’il serait utile de le prescrire à un stade moins avancé de la maladie, l’équipe du professeur Alexander Eggermont (Institut Gustave-Roussy ; IGR) a mené une étude chez 951 patients ayant un mélanome sans métastases, mais à haut risque de rechute. Les résultats, présentés lundi 2 juin, confirment que cette immunothérapie réduit le risque de récidive d’environ 25 % avec trois ans de recul. Mais le traitement a été mal toléré :  plus d’un malade sur deux l’a interrompu en raison d’effets indésirables,  et cinq sont décédés.

MEILLEURE TOLÉRANCE

D’autres anticorps monoclonaux, semble-t-il bien moins toxiques que l’ipilimumab et efficaces chez une proportion plus importante de patients, font l’objet d’essais dans de multiples indications. Il en va ainsi des anticorps anti PD-1 (pour programmed death ou « mort programmée ») et anti PDL-1, que développent plusieurs laboratoires. « Agir au niveau des récepteurs CTLA-4, c’est comme activer de jeunes soldats qui vont courir partout, mais de façon un peu désordonnée, alors que viser les récepteurs PD-1 permet de réveiller les lymphocytes plus spécifiquement sur le site de la tumeur, explique le docteur Caroline Robert (IGR), qui a participé à plusieurs essais sur les mélanomes. Les anti PD-1 agissent plus rapidement, et de façon plus ciblée que l’ipilimumab, ce qui explique leur meilleure tolérance. »
Ainsi, le nivolumab  (anti PD-1 du laboratoire BMS) obtient, seul ou en association avec l’ipilimumab, des résultats encourageants dans les mélanomes, mais aussi dans d’autres cancers en phase avancée, notamment du rein et du poumon. Un autre anti-PD1 (MK 3475 ou pembrolizumab, Merck) s’est, lui, montré très efficace lors d’ un essai chez plus de 400 patients atteints de mélanomes métastatiques, dont la moitié n’avait pas eu d’amélioration avec l’ipilimumab. Une régression tumorale a été obtenue chez un malade sur trois, avec un effet durable dans le temps et « seulement » 12 % d’effets indésirables graves.
Plusieurs de ces molécules devraient rapidement obtenir une autorisation de mise sur le marché, mais beaucoup de questions restent en suspens. Pour l’heure, il n’existe pas de biomarqueur idéal pour prédire leur efficacité chez un malade donné. Reste aussi à déterminer les meilleures combinaisons thérapeutiques, la durée optimale du traitement. Sans compter les enjeux économiques : l’imilimumab coûte environ 80 000 euros pour quatre injections.
L’immunothérapie anticancer peut aussi faire appel à diverses approches de thérapie cellulaire, réalisées à façon. Une équipe américaine a ainsi présenté à l’ASCO une stratégie originale pour traiter des cancers du col utérin métastasés, consécutifs à une infection à papillomavirus (HPV). Pour chacune des neuf patientes, les chercheurs ont prélevé un échantillon tumoral, isolé des lymphocytes T qu’ils  ont fait proliférer en présence d’antigène d’HPV avant de les réinjecter. Une rémission complète a été obtenue chez deux femmes (avec un recul de onze et dix-huit mois), et une réponse partielle chez une troisième, au prix d’effets secondaires parfois sévères. L’étude doit se poursuivre avec de nouveaux patients, atteints d’un cancer du col utérin ou d’autres tumeurs liées à une infection par HPV, au niveau de la gorge ou de l’anus.

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