lundi 9 février 2015

Cancer : favoriser l’accès aux thérapies ciblées

Le diagnostic est tombé : cancer du poumon métastatique, dix mois d’espérance de vie. C’était il y a dix-huit mois. Aujourd’hui, Bernard Desforges, 49 ans, non fumeur, n’a plus dans le corps qu’une tumeur cancéreuse de la taille d’un grain de riz. Dans l’intervalle, ce père de trois enfants résidant à Londres a appris que ses cellules cancéreuses contenaient dans leur ADN une altération du gène EGFR (récepteur du facteur de croissance épidermique), provoquant une croissance tumorale incontrôlée. Une thérapie ciblée (erlotinib, commercialisé par Roche sous le nom de Tarceva) lui a été administrée en Grande Bretagne. Mais, scientifique de formation, Bernard Desforges s’est mis à « creuser le sujet », a passé des centaines d’heures à lire des publications scientifiques, à échanger avec des patients dans le monde entier.


Puis la tumeur principale a été opérée, à sa demande, à Londres. Bernard Desforges a obtenu de faire réaliser un séquençage complet de ses mutations et biomarqueurs, aux Etats-Unis. « Ces analyses m’ont permis de comprendre d'où le danger allait venir, explique-t-il. C’est comme si, sur un terrain de guerre, j'étais entouré de snipers et qu'il fallait repérer l’ennemi. » Une deuxième thérapie ciblée lui a été proposée, le crizotinib (Pfizer), par l’équipe londonienne. Aujourd’hui, Bernard Desforges prend ces deux médicaments, nettement moins agressifs que les traitements classiques. Il a entrepris d’ « éliminer le grain de riz », en y associant en plus de l’immunothérapie proposée en Allemagne, à base d’injections mensuelles de cellules dendritiques, qui visent à reprogrammer son système immunitaire.
Le parcours thérapeutique international de Bernard Desforges, qui s’est récemment engagé comme volontaire à la Fondation Arc pour la recherche sur le cancer, fait figure d’exception. Mais il illustre le succès que peuvent constituer ces thérapies ciblées, aussi disponibles en France. Vraie révolution ces quinze dernières années, le principe est simple : la maladie n’est plus traitée en fonction de l’organe touché mais en fonction des spécificités de la tumeur, de son « profil génétique ». Des molécules ciblent ces anomalies, on parle alors de médecine de précision.

Gommer les inégalités d’accès

 

« Malgré les spectaculaires avancées de la recherche, et l’amélioration des taux de survie des malades, le séquençage des tumeurs n’est pas effectué en routine, affirme Axelle Davezac, directrice générale de la Fondation Arc pour la recherche sur le cancer. Il faut aller plus vite et passer d’une médecine d'exception à une médecine pour tous ; en généralisant ces approches, on doit pouvoir gagner 40 000 vies de plus par an », c’est-à-dire guérir deux cancers sur trois dans moins de dix ans. C’est un cri d’alarme que lance la fondation ARC, lundi 2 février, deux jours avant la journée mondiale contre le cancer. Elle formule huit propositions pour un meilleur accès à l’innovation thérapeutique, accompagnées d’un appel aux dons sur www.innovationcancer.org.
Alors qu’un cancer sur trois était guéri il y a vingt ans, un cancer sur deux l’est aujourd’hui. Même si cela reste la première cause de mortalité, avec 150 000 décès par an en France. Et si son incidence augmente (350 000 nouveaux cas en 2013, contre 278 000 en 2000) avec l’augmentation de l’espérance de vie mais aussi en raison de facteurs environnementaux, notamment le tabac chez les femmes.
« Nous souhaitons que ces innovations puissent être disponibles pour tous, sans inégalités d’accès », explique lui aussi le professeur François Sigaux, directeur de la recherche et du développement de l’Institut national du cancer (INCa), qui pilote 28 plates-formes labellisées où s’effectuent ces tests de séquençage. C’est l’un des buts du troisième plan cancer (2014-2019) : faire bénéficier de ces traitements à un maximum de malades, et ce, sur tout le territoire. « Sans cet accès à l’innovation, Bernard Desforges ne serait sans doute plus parmi nous », insiste Axelle Davezac. Le séquençage des exomes (la partie codante du génome d’une tumeur) permet de repérer toutes les anomalies. 65 000 patients en France ont bénéficié en 2013 d’un test de génétique moléculaire déterminant l’accès à une thérapie ciblée, selon le site de l’Inca.

Limitation dans le temps

 

Ce test sera-t-il à l’avenir proposé à tous les patients atteints de cancer ? « Nous sommes convaincus que la généralisation du séquençage total de l’exome apportera un bénéfice pour les patients, en prévoyant mieux les thérapies. Des études sont en cours afin de valider cela », explique le professeur Fabrice André, oncologue à l’Institut Gustave Roussy (Villejuif).
L’arrivée des thérapies ciblées a bousculé le schéma classique des essais cliniques. Une quarantaine d’entre elles sont aujourd’hui commercialisées, plus de 800 sont en cours d’étude, plus ou moins avancée. Aujourd’hui, seulement 5% à 8% des patients sont inclus dans un essai de recherche clinique, déplore la fondation Arc. L’objectif du plan cancer est d’inclure 50 000 patients par an dans les essais cliniques thérapeutiques à l'horizon 2019, contre 25 000 en 2013, notamment les cancers pédiatriques, jusqu’ici trop délaissés par la recherche.
Il convient ensuite de mettre en place la bonne thérapeutique. Il faut à chaque fois trouver la bonne formule entre l’anomalie génétique, la molécule qui pourra la cibler, en l’associant si nécessaire avec l’immunothérapie. « Il faut être prudent, car les effets des thérapies ciblées semblent limités dans le temps. Et il existe des anomalies pour lesquelles il n’y a aucun traitement, avertit le professeur Sigaux, il ne s’agit pas de donner de faux espoirs aux patients. »
Autre bémol : « Le délai entre le moment du rendez-vous pour le prélèvement et le rendu des résultats va de une semaine à plus d’un mois selon les endroits », pointe le professeur François Ghiringhelli, oncologue médical au Centre de lutte contre le cancer à Dijon et chercheur. Les associations de patients sont très vigilantes sur les inégalités. « Cette pratique tend à se généraliser mais se heurte aux moyens, le séquençage d'une tumeur coûtant plus de 1 000 euros », explique le professeur Ghiringhelli. Le patient ne débourse rien pour l’instant. Le succès de ces avancées thérapeutiques n’est pas sans poser la question de leur financement. Il s’agit là d’un choix politique et sociétal.
« Le problème est aussi que le prix de ces médicaments est scandaleusement élevé. On arrivera à un moment où la collectivité ne pourra plus payer », lance le professeur Jean-Paul Vernant, hématologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (APHP) et auteur des recommandations pour le troisième plan cancer. En Grande-Bretagne, certains médicaments de ce type ne sont plus remboursés, ce qui pose un problème éthique. « L’industrie pharmaceutique ne devrait pas être une industrie comme les autres, et devrait baisser le prix des médicaments, insiste le professeur Vernant, car le malade n’est pas un consommateur comme les autres. »

Pascale Santi, Le Monde, 02/02/2015.

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