lundi 9 février 2015

Les riches patients étrangers, bouée de sauvetage des hôpitaux français ?

Le sujet serait-il tabou ? Cela fait maintenant six mois que le rapport sur l’accueil des riches patients étrangers dans les hôpitaux français, dévoilé jeudi 5 février par Challenges, a été remis à ses deux commanditaires, Marisol Touraine, ministre de la santé, et Laurent Fabius, celui des affaires étrangères. Depuis, silence radio.

A l’heure où les internes se joignent au mouvement de protestation des médecins libéraux contre la loi santé, serait-il délicat d’annoncer de quelle façon il conviendrait de déplier le tapis rouge pour accueillir davantage de « patients étrangers très solvables », à même de remplir les caisses de l’Etat ? A la CGT Santé, on dénonce d’ores et déjà le risque d’une « médecine à deux vitesses », selon Christophe Prudhomme de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP).
Aujourd’hui, ces patients étrangers fortunés payent 30 % de plus que les Français. Selon les calculs de l’économiste Jean de Kervasdoué, auteur du rapport, en attirer davantage permettrait de dégager en cinq ans 2 milliards d’euros, et de créer « 25 000 à 30 000 emplois ». « Nous avons, médicalement, la capacité de répondre à cette demande » de soins, qui connaît une croissance annuelle « à deux chiffres », assure-t-il. Mais en dépit de ses « atouts », la France a pris du retard face à la concurrence de pays comme l’Allemagne, Dubaï ou la Thaïlande. Il évalue à 1 % la proportion que pourrait atteindre d’ici à dix ans ces malades étrangers payants en France.
En mai 2014, la privatisation de neuf chambres de l’hôpital Ambroise-Paré, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), pendant six jours, afin de soigner un émir du Moyen-Orient et accueillir sa famille, avait suscité une forte polémique. Jean de Kervasdoué se félicite que cet épisode ait pu ouvrir « le débat sur l’acceptabilité sociale et politique » de cette pratique, souvent qualifiée – à tort, selon lui – de « tourisme médical ». « Le seul scandale avec l’émir, c’est de ne l’avoir fait payer que 30 % de plus que le tarif de la Sécu », assure-t-il.

« L’augmentation systématique des tarifs de 30 % est dans la majorité des cas trop bas et dans quelques autres trop élevé », note-t-il dans son rapport. Outre la simplification de la procédure de délivrance des visas pour les patients et leurs familles, l’économiste préconise la mise en place d’une agence – nommée « Médical-France » –, qui serait chargée, par l’intermédiaire d’un site Internet en six langues, de « promouvoir, organiser et contrôler la prise en charge des patients étrangers ».
Il souhaite que les établissements hospitaliers puissent proposer un devis « tout compris » en quelques heures et préconise le développement de sociétés privées de « conciergerie médicale » afin d’accompagner les malades étrangers. Pour lui, « ce sont des gens particulièrement fragiles, ils ont besoin d’être accueillis directement à l’aéroport et d’avoir affaire à des gens qui parlent leur langue, ou au minimum l’anglais ».
Jean de Kervasdoué note également qu’« à de très rares exceptions près, aucun établissement sanitaire français n’est au standard international » en terme de conditions d’accueil, dont il juge la qualité « le plus souvent spartiate ». « Pour accueillir cette patientèle exigeante, il faudrait donc offrir les conditions hôtelières auxquelles ils sont habitués, et bien entendu, les facturer en conséquence », fait-il valoir. La restauration proposée devra « s’habituer aux habitudes alimentaires » de ces patients étrangers et les professionnels de santé et paramédicaux devront être formés à parler une ou plusieurs langues étrangères. « Les Français qui voudraient bénéficier de ce type de service haut de gamme le pourraient dans les mêmes conditions », précise-t-il.

« Destruction de l’hôpital public »

 

Pour le professeur André Grimaldi, membre du Mouvement de défense de l’hôpital public, la mise en place d’un tel service marquerait « la destruction de l’hôpital public ». « Le principe de l’égalité est fondamental, estime-t-il. Si ces patients veulent être soignés en France, ils doivent accepter le système. » Pour lui, « créer un secteur particulier de tourisme médical au sein des hôpitaux, c’est faire entrer le ver dans le fruit du système ».
« Jusqu’à preuve du contraire, je n’ai jamais vu de moyens supplémentaires mis à disposition pour accueillir ces patients étrangers. Les accueillir à moyen constant, c’est donc le faire au détriment des autres patients », constate pour sa part Jean-Marc Devauchelle, secrétaire général de Sud Santé à l’AP-HP. « Je me battrai pour que ces patients ne soient pas accueillis », ajoute M. Prudhomme.
Pour Jean de Kervasdoué, les craintes de ses détracteurs sont infondées. « Ces éventuels futurs patients n’auraient aucun passe-droit et, d’un point de vue médical, seraient accueillis comme ils l’ont toujours été, et comme le sont les patients français. » Il se dit par ailleurs convaincu que les hôpitaux seraient en mesure « d’absorber » ce flux supplémentaire « sans pénaliser les Français ». Reste à savoir quelles suites les ministres de la santé et des affaires étrangères donneront à ses propositions.

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