Dans une étude publiée aujourd’hui, l’Observatoire des inégalités souligne que la relative stabilité du taux de pauvreté s’accompagne d’un creusement des situations de précarité, dont les moins de 30 ans font majoritairement les frais.
En
première ligne. Publié aujourd’hui, le rapport sur la pauvreté de
l’Observatoire des inégalités rappelle, parmi ses multiples constats,
que les jeunes, en France, restent les plus touchés par la précarité.
Parmi les 5 millions de pauvres (1), un peu plus du tiers sont des
enfants et des adolescents, et plus de la moitié a moins de 30 ans. Ce
taux monte à 19,8 % pour les moins de 18 ans. Un constat inquiétant et
pourtant souvent minoré par les politiques publiques. « Plus d’un enfant
sur dix vit sous le seuil de pauvreté du fait des bas revenus de ses
parents. On oublie plus encore les jeunes adultes de 20 à 29 ans, dont
11,8 % sont pauvres, souvent les peu diplômés en difficulté d’insertion
professionnelle », détaille le rapport.
S’il est impossible d’établir un profil type, ce sont
principalement des enfants et des jeunes vivant dans des ménages n’ayant
pas eu accès à une insertion professionnelle stable qui sont concernés.
Julien Damon, professeur à Sciences-Po et auteur d’Éliminer la pauvreté
(éditions PUF), connaît bien les raisons de ce constat : « Les jeunes
entrent difficilement dans le marché du travail. Le choc du chômage pèse
sur ces outsiders, mais il y a aussi la transformation des familles
plus souvent monoparentales et fragiles, plus nombreuses dans les
quartiers prioritaires, et enfin, la surréprésentation de jeunes pauvres
et migrants. »
Le plan pauvreté d’Emmanuel Macron était attendu, entre
autres, sur cette question. Mais la plupart des associations ont été
déçues. Beaucoup comptaient notamment sur un élargissement du RSA aux
18-25 ans, puisque cette tranche d’âge ne perçoit que l’aide
personnalisée au logement (APL) en termes de soutien effectif. Le
président n’a rien proposé en ce sens. Une mauvaise nouvelle pour des
centaines de milliers de jeunes précaires, dont de nombreux étudiants.
Zoé ne se considère pas comme une personne pauvre.
Néanmoins, lorsqu’elle détaille l’ensemble de ses difficultés à payer
son loyer et ses charges, avec un emprunt à ses proches de 20 000 euros
pour ses deux ans d’études, la jeune femme de 24 ans ne fait pas partie
des privilégiés. Soutenue par ses parents, qui lui paient une partie de
son loyer, Zoé peine à joindre les deux bouts. En colocation à Bordeaux
avec deux autres étudiants, son appartement est une passoire thermique.
L’hiver, c’est un frigo. Avec un radiateur dans chaque chambre, la
température dépasse péniblement les 12 degrés. Cette rentrée
universitaire n’en finit pas de l’angoisser : « Nous avons reçu une
facture d’électricité de 1 300 euros parce que EDF a mal estimé notre
consommation. Il a fallu batailler pour qu’ils acceptent d’échelonner le
paiement sur douze mois. Et maintenant, j’attends la taxe d’habitation…
C’est stressant et il est hors de question que je demande de l’argent à
mes parents. » Lorsqu’on lui demande si un RSA pour les jeunes
changerait son quotidien, elle n’hésite pas une seconde : « Ce serait
une aide essentielle qui me permettrait de me dédier complètement à mes
études. Je travaille tous les week-ends et je ne vis pas dans de bonnes
conditions. »
« Beaucoup sont déjà en rupture familiale »
Dans son plan pauvreté, Emmanuel Macron a en revanche
affirmé que l’obligation de formation passera de 16 à 18 ans. Des moyens
supplémentaires devraient être attribués aux missions locales pour
qu’elles repèrent les décrocheurs du système scolaire et leur proposent
des formations. Le dispositif « garantie jeunes », pour les 16-25 ans
les plus éloignés de l’emploi, a pour objectif de s’étendre à « 500 000
jeunes avant la fin du quinquennat », contre 100 000 actuellement. Plus
facile à dire qu’à faire. Car c’est une des difficultés des
travailleurs sociaux des missions locales : repérer et faire venir ces
jeunes. Conseillère à la mission locale de Saint-Just-en-Chaussée
(Oise), Ingrid explique : « Nous sommes dans un milieu mi-rural,
mi-urbain. Lorsque les jeunes entendent parler de la garantie jeunes,
ils viennent, mais se découragent vite à cause des documents à fournir.
On leur demande notamment l’avis d’imposition des parents et un
certificat d’hébergement. Beaucoup sont déjà en rupture familiale ou à
la rue. D’autres sont à un tel niveau de décrochage que la moindre
contrainte les tétanise… » Jusqu’ici, le dispositif a fonctionné pour 48
% des jeunes et pour une majorité un accès à la mobilité.
À la mission locale, la garantie jeunes permet de faire
bénéficier d’un accompagnement pour trouver du travail tout en étant
payé 480 euros par mois. Mais c’est avant tout un travail de lente
reconstruction d’une jeunesse sans repère et précaire. « Nous avons vu
des jeunes qui arrivaient avec des chaussures trouées, des vêtements
sales, moisis par l’humidité de logements insalubres. Il fallait les
orienter vers le CCAS ou les Restos du cœur. Beaucoup d’entre eux
vivaient dans des familles où les parents étaient seuls, au chômage ou
en invalidité. Il faut lever les freins les uns après les autres, mais
cela prend du temps. »
Des enfants à la rue… Macron fait le service minimum
De son côté, la précarité des enfants mineurs reste à des
niveaux élevés. « En 2015, 1,7 million des moins de 18 ans vivaient dans
un ménage dont le niveau de vie était inférieur au seuil de pauvreté »,
rappelle l’Observatoire des inégalités. Certains dorment dans des
hôtels peu confortables ou des logements de fortune. D’autres dans la
rue. Selon l’Insee, au moins 30 000 enfants sont avec un parent qui n’a
pas de domicile fixe. Sur ce volet, le plan d’Emmanuel Macron fait le
service minimum, promettant d’ouvrir davantage les crèches aux gamins de
quartiers prioritaires ou défavorisés, ou d’offrir des petits déjeuners
gratuits à l’école. Mais, pour l’Observatoire des inégalités, le
diagnostic n’est pas le bon : « Il y a un paradoxe à déplorer la
pauvreté de ces jeunes sans voir qu’elle résulte de la situation de
leurs parents. Dans leur immense majorité, ces enfants sont dans cette
situation parce que leurs parents le sont, du fait des bas salaires, des
temps partiels imposés, des contrats de courte durée renouvelés, d’un
échec scolaire trop fréquent ou des faiblesses de notre système de
formation. »
(1) Taux de pauvreté à 50 % du revenu médian, soit 850 euros par mois.
Source : L'Humanité.fr, 11/10/2018.
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