lundi 24 juin 2019

Micro-travail Ouvriers du clic : extension du domaine de la machine

Le numérique et l’intelligence artificielle ont fait naître une nouvelle forme de travail précaire et invisible : les micro-tâches. État des lieux.


Derrière le robot, cherchez le travailleur. C’est l’un des enseignements d’une étude menée par des universitaires, coordonnée par le sociologue Antonio Casilli, qui se sont penchés sur l’ampleur du micro-travail en France. Cette « nouvelle catégorie de travailleurs » est le pendant social, peu vertueux, d’une technologie en pleine expansion : l’intelligence artificielle (IA). « Derrière un assistant vocal capable de “faire quelque chose pour vous” se cache une foule de femmes et d’hommes qui effectuent un travail colossal pour lui apprendre à interpréter des commandes simples », résument les auteurs. Or, ces travailleurs payés à la micro-tâche, qui s’exécute parfois en quelques secondes seulement, ne dépendent pas du salariat. Ces ouvriers du clic disposent de très peu de protection sociale, évoluent dans une absence totale de collectif de travail…
Mais de quoi s’agit-il concrètement ? Le micro-travail rassemble des tâches « simplifiées à l’extrême de façon à ce qu’elles puissent être effectuées par des prestataires “non professionnels” ». Ainsi des particuliers se connectent à des plates-formes et monétisent leur temps libre. Ces micro-activités peuvent consister à classer un produit (livre, DVD, électroménager, etc.) dans la bonne catégorie sur un site d’e-commerce, répondre à des sondages ou questionnaires, enregistrer des phrases pour que les logiciels d’assistance conversationnelle les assimilent, préparer la numérisation de documents, analyser des émotions exprimées sur des visages… La liste est longue est variée, et nombre de ces tâches ne rapportent que quelques centimes d’euros.

Des tâches demandant peu de compétences

Si la notion de micro-travail peut sembler proche de celle des travailleurs ubérisés qui opèrent eux aussi sur une plate-forme, elle s’en différencie car ces tâches ne demandent pas un niveau de qualification élevé. Contrairement aux missions du livreur Delivroo ou du chauffeur Uber, elles sont moins complexes et plus courtes. Le micro-travail n’est pas un métier en soi et « toute personne dotée d’un smartphone ou d’un ordinateur portable et d’une connexion peut souscrire à une micro-tâche rémunérée ». Ces micro-travailleurs n’ont en outre pas de réel statut, alors qu’un travailleur ubérisé est dans la plupart des cas auto-entrepreneur.
L’étude menée par le projet DiPLab (Digital Platform Labor), rassemblant des chercheurs de Télécom ParisTech et du CNRS, donne une première estimation du nombre de micro-travailleurs en France : plus 260 000 personnes. Qu’il s’agisse d’utilisateurs très actifs (15 000 personnes), se connectant au moins une fois par semaine à une plate-forme de micro-travail, ou une fois par mois (50 000 personnes), ou alors plus occasionnels. La grande majorité de cette population fait partie de cette dernière catégorie, et ne micro-travaille pas forcément tous les mois, mais constitue un large réservoir de micro-main-d’œuvre.

D’Amazon Mechanical Turk à Foule Factory

Plusieurs dizaines de plates-formes de micro-travail proposent des tâches en France. Parmi les plus connues figurent Foule Factory ou MobEye. Les géants du numérique ont également développé les leurs, que ce soit Universal Human Relevance System (UHRS) de Microsoft, EWOQ de Google et Amazon Mechanical Turk. Cette dernière est d’ailleurs l’une des plus grandes plates-formes du secteur au niveau mondial et l’une des plus anciennes (2005). Le libraire en ligne était confronté à des doublons dans son vaste catalogue et ne parvenait pas à les résoudre avec ses logiciels. Il a donc eu recours à « un système d’externalisation : recruter un grand nombre de personnes payées à la pièce avec pour mission d’analyser quelques pages et de signaler les répétitions ». Voici comment sont apparus les premiers micro-travailleurs.  
Les données de l’étude de DiPLab montrent que les profils de micro-travailleurs français sont relativement variés, mais caractérisés par un point commun : la précarité. La moitié d’entre eux appartient aux 30 % de la population la plus pauvre, et 22 % vivent même sous le seuil de pauvreté, contre 8 % dans la population française. Un tiers des micro-travailleurs sont par ailleurs inactifs, c’est-à-dire ni en emploi ni au chômage. Ces micros-tâches peuvent cependant être réalisées en complément d’un emploi, pour constituer un supplément de revenu. Le besoin d’argent est d’ailleurs la principale motivation de ces micro-travailleurs, indique l’étude. Autre signe de précarité, inhérente à cette activité de micro-travail : une très faible protection sociale, aucune sécurité dans l’activité car la plate-forme peut rompre la relation à tout moment.

(...)

Source : alternatives-economiques.fr
Article intégral en ligne : https://www.alternatives-economiques.fr

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire