Après la Cour des comptes et le Medef, la Fédération hospitalière de France (FHF) stigmatise la réduction du temps de travail comme cause principale de la désorganisation hospitalière. Une malhonnêteté intellectuelle qui permet de faire des économies sur le dos de la qualité des soins.
« Il n’y aura pas de remise en cause des 35 heures
ni de la durée légale du temps de travail. » Si le premier ministre a assuré, à
plusieurs reprises, qu’il ne toucherait pas aux 35 heures, il a néanmoins
indiqué qu’il était favorable à l’ouverture de négociations par branche pour
déroger à cette fameuse durée légale du travail. Sous la pression du Medef, de
nombreuses dérogations aux 35 heures ont été imposées depuis le gouvernement
Fillon. Dans le privé, essentiellement. Mais aussi dans le public et notamment
à l’hôpital. Selon une enquête réalisée par la Fédération hospitalière de
France (FHF) auprès d’un échantillon de 152 établissements, 44 % d’entre eux
ont d’ores et déjà procédé à une renégociation de leur protocole. Et ce n’est
sans doute que le début. Si elle n’appelle pas officiellement à revenir aux 39
heures, la FHF réclame davantage de souplesse dans l’organisation du temps de
travail hospitalier.
Le 17 septembre dernier, lors de son audition par
la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’impact sociétal, social,
économique et financier de la réduction progressive du temps de travail,
Frédéric Valletoux, président de la FHF, a expliqué que la mise en place des
35 heures dans les hôpitaux était à l’origine de difficultés organisationnelles
et financières. « La RTT a mis les organisations en tension. Et elle a généré
une augmentation sans précédent de la masse salariale (intérim, travail de
nuit, CET) », a confié la FHF à l’Humanité. « Alors qu’un effort à hauteur de
5 milliards d’euros est aujourd’hui demandé aux hôpitaux publics dans le cadre
de l’effort national de maîtrise des dépenses publiques, je ne demande pas le
retour des 39 heures à l’hôpital, mais le retour de la souplesse, de l’intelligence
collective, de l’adaptabilité dans les organisations de travail », a précisé
Frédéric Valletoux. L’idée de la FHF est d’aligner l’ensemble des hôpitaux et
de limiter le nombre de jours de RTT à quinze par an et par agent. Cette
uniformisation permettrait, selon la FHF, de réaliser un gain de plus de
640 000 jours, soit 3 200 équivalents temps plein (ETP), soit près de
400 millions d’euros d’économies. Rejoignant la Cour des comptes, qui appelle
elle aussi à affiner le pilotage des dépenses de personnels à l’hôpital,
Frédéric Valletoux rappelle qu’avec 70 % des budgets hospitaliers consacrés aux
charges de personnel, « on ne réformera pas l’hôpital sans poser la question de
son organisation interne ».
Par Alexandra Chaignon
Article publié par L'Humanité, le jeudi 16 octobre 2014.
« La RTT a été pendant des
années un argument pour geler les salaires »
Même si les 35 heures se sont mises en place avec
des moyens insuffisants, il est malhonnête de considérer que tous les problèmes
rencontrés à l’hôpital aujourd’hui sont dus à la RTT. « Si l’hôpital est en
difficulté, c’est parce que les directions n’ont pas embauché le personnel
permettant de bien mettre en œuvre cette réduction du temps de travail »,
conteste Jacqueline Fraysse, députée GDR et membre de la commission d’enquête
relative aux 35 heures à l’hôpital. « Sans compter qu’avec la T2A (tarification
à l’activité), les tutelles pressurent les établissements. »
« On est dans un contexte où la situation
budgétaire des hôpitaux est si difficile qu’elle les place en recherche
d’économies permanentes. Mais ce n’est pas aux personnels de faire les frais de
l’équilibre budgétaire. Sachant qu’outre l’insuffisance des créations
d’emplois, la RTT a été pendant des années un argument pour geler les
salaires », vitupère également Nathalie Gamiochipi, secrétaire générale de la
CGT santé et action sociale.
Quant à la renégociation des accords locaux qui
permettrait, comme le vante la FHF, de « repenser l’organisation du travail »,
elle est contredite par la réalité. « C’est inefficace, martèle Catherine
Fayet, secrétaire du syndicat SUD santé du Centre hospitalier sud francilien
(Essonne). En 2013, dans le cadre d’un plan de retour à l’équilibre, la
direction de l’hôpital nous a imposé la suppression de trois jours de RTT. Plus
d’un an après, les équipes travaillent toujours à flux tendu, elles sont
épuisées et l’absentéisme n’a jamais été aussi élevé. » Pourtant, la direction
continue dans cette voie et tente aujourd’hui d’exclure les trente minutes du
temps de repas de la journée de travail. « L’ARS exige que le déficit de
l’hôpital de 20 millions d’euros soit réduit à 17,5 millions d’ici fin
janvier 2015. La direction a calculé qu’en récupérant les trente minutes de
temps de repas des 3 700 agents, cela permettrait une économie de 1,2 million
d’euros d’ici fin janvier 2015, soit l’équivalent de 34 postes. Elle ne se rend
pas compte des conséquences au niveau des services, qui sont déjà exsangues »,
déplore Catherine Fayet.
« Il m’arrive d’être seule pour quarante patients,
confie ainsi une infirmière dans un service de longs séjours. Comment
voulez-vous faire votre travail correctement dans ces conditions, quand il vous
faut parfois dix minutes pour donner un médicament à un patient ? » « On est
contraint de faire des choix, c’est insoutenable, corrobore une aide-soignante.
On leur donne à manger vite fait. Quant à la toilette, c’est vite fait, mal
fait ! On n’a pas le temps de faire de vraie toilette. Parfois, on n’a même pas
le temps de les lever ; certains patients restent couchés quatre jours. Du
coup, ils développent des esquarres, ce qui occasionne au final plus de
boulot. » « Les besoins réels ne sont plus assurés », résume, amère, Michèle
Laplanche, cadre supérieure de santé à l’hôpital Charles-Foix d’Ivry et
militante CGT.
Plusieurs enquêtes institutionnelles vont
d’ailleurs dans ce sens. Interrogé le 16 juillet dernier par la commission
d’enquête parlementaire sur les 35 heures, Franck Von Lennep, le directeur de
la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques),
a rappelé qu’« une monographie, conduite dans 17 établissements hospitaliers en
2004, soit après la mise en place de la réforme, a montré que les salariés
hospitaliers interrogés appréciaient la RTT pour leurs conditions de vie, mais
regrettaient une compensation insuffisante en termes d’emplois et donc des
conséquences lourdes sur le travail ». Selon lui, « les très lourds changements
organisationnels conduits à l’hôpital depuis les années 2000 dépassent la
simple question du temps de travail. Les réformes menées depuis celle de la
RTT, notamment celle de la tarification à l’activité, ont un impact majeur ».
La loi HPST, la tarification à l’activité et les
politiques de restrictions budgétaires, voilà ce qui a laminé les
établissements publics. Et alors que des milliers d’emplois ont été supprimés,
c’est encore le personnel qui devrait supporter les effets des économies à
réaliser à l’hôpital ? « Ce n’est plus possible, assène Catherine Fayet. À ce
rythme, comment va-t-on pouvoir assurer la qualité et la sécurité des soins ?
Ce qu’il faut, c’est revenir sur la T2A, mais aussi que les enveloppes Migac
(qui financent les missions de service public) soient vraiment financées. Il
faut revoir entièrement la façon dont on finance l’hôpital, et s’interroger sur
la politique de santé qu’on veut. » « La vraie question, renchérit Jacqueline
Fraysse, est de savoir si on va se donner les moyens d’embaucher et de former
du personnel. Qu’on n’aille pas me dire qu’on ne peut pas payer ! On a bien
trouvé 41 milliards d’euros à donner au patronat ! »
« Reprendre les RTT du personnel c’est du vol, c’est la mise en danger du soin »
En attendant, même si le travail de renégociation
des protocoles RTT a commencé, il suscite le tollé chez les personnels. À
l’Hôpital sud francilien, la suppression des trente minutes de repas a été
repoussée le temps que le CHSCT diligente une enquête sur les conséquences de
cette réorganisation. À l’hôpital Paul-Guiraud de Villejuif (Val-de-Marne), les
personnels sont en grève depuis quatre mois pour empêcher la suppression de
neuf jours de RTT. Une ténacité qui a d’ailleurs obligé la nouvelle direction,
qui s’est dite prête à revoir son projet, à rouvrir des négociations. À l’EPSM
de Caen (Calvados), cela fait un an et demi que l’on se bat. Le plan de
modernisation prévoit la suppression « d’au moins cinquante postes et la remise
en cause des horaires de travail avec à la clé la suppression de cinq jours de
RTT », précise Bruno Lechaftois, délégué CGT. « Reprendre les RTT du personnel,
c’est du vol. Les soignants ont besoin de ce temps de repos. Mais ce n’est pas
ce qui les motive le plus. Leur inquiétude, c’est la mise en danger du soin »,
explique Olivier Mans, du syndicat SUD santé de l’EPSM.
« On entend dire que nous défendons notre confort
individuel en voulant à tout prix conserver nos RTT. C’est réducteur, déplore
ainsi un aide-soignant qui travaille dans une unité de patients polyhandicapés.
Outre l’impact sur nos conditions de travail, ce projet se fera forcément au
détriment du patient. Actuellement, nous avons une heure et demie en commun
entre l’équipe du matin et celle de l’après-midi pour parler des patients au
cas par cas. En réduisant ce temps, on réduit la réflexion clinique. En
psychiatrie, le plateau technique, c’est le personnel. Si on n’a plus les
conditions pour exercer correctement ce travail, on risque de devenir
maltraitant. » À l’hôpital Joffre-Dupuytren, situé à Draveil (Essonne), c’est
la même situation : plan d’économies, suppression de personnel et tentative de
remise en cause des RTT… Sauf qu’ici, les salariés ont obtenu le maintien de la
durée journalière à 7 h 50 que la direction voulait baisser à 7 h 36. « La
direction a confirmé que la durée du temps de travail, telle que négociée en
2002, ne sera pas touchée », se félicite Jean-Marc Allouche, secrétaire du
syndicat CGT de l’établissement.
Le temps de travail en question. Le nombre de jours de RTT accordés aux agents varie sensiblement selon
les hôpitaux, selon une enquête réalisée par la Fédération hospitalière de
France (FHF) du 20 août au 11 septembre, auprès de 152 établissements et
regroupant 321 941 agents. Si 59 % des hôpitaux ayant répondu ont signé
des accords reposant sur 15 jours de RTT ou moins, 38 % ont des accords
prévoyant plus de 15 jours de RTT (dont 12 % plus de 20 RTT). Les
établissements dont les accords octroient plus de 20 jours de RTT sont
majoritairement des hôpitaux psychiatriques.
Par Alexandra Chaignon
Article publié par L'Humanité, le jeudi 16 octobre 2014.
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