jeudi 30 octobre 2014

Travailler de nuit est-il nocif ?

Le travail de nuit progresse en France. Les salariés concernés sont souvent motivés par une rémunération attractive, mais la médaille a un revers : des risques
pour la santé et un délitement de la vie sociale.

Se lever tôt, trop tôt, se coucher tard, subir des insomnies : de trop nombreux actifs accumulent au fil du temps une « dette de sommeil ». Les Français dorment, en moyenne, 7 h 47, 18 minutes de moins qu’il y a 25 ans – et même 50 minutes pour les 15-17 ans. Certains travailleurs se retrouvent dans une situation particulièrement vulnérable : les travailleurs de nuit. C’est à eux que s’est intéressée la Dares dans une étude récente. Combien sont-ils ? Quels risquent leur activité nocturne fait-elle peser sur leur santé ? 




Un travailleur sur six


Premier enseignement de cette étude : le travail de nuit a littéralement explosé en France au cours des vingt dernières années. Censé être « exceptionnel », il concerne aujourd’hui pas moins de 3,5 millions de personnes, soit plus d’un salarié sur six – dont la moitié à titre régulier. C’est un million de salariés en plus qu’au début des années 1990. 

La différence entre les sexes est marquée. Les hommes sont nettement plus exposés au travail nocturne : un homme sur cinq occupe ce type d’emploi, contre moins de 10 % des femmes. Les horaires atypiques sont surtout concentrés dans le secteur tertiaire : les conducteurs de véhicules, les policiers et militaires, les infirmières et aides-soignantes, ainsi que les ouvriers qualifiés des industries de process sont les cinq familles professionnelles les plus concernées. 

Autre révélation de l’enquête de la Dares : les salariés de la fonction publique travaillent plus fréquemment la nuit que ceux du privé. Alors qu’ils constituent 22 % de l’ensemble de l’emploi salarié, ils sont 30 % à travailler de nuit. Par contre, il n’existe pas de différence notable entre salariés en CDD ou en CDI, contrairement à ce que l’on aurait pu spontanément penser, et les apprentis, stagiaires et bénéficiaires de contrats aidés sont plutôt épargnés par ce type d’horaires. À l’inverse, les intérimaires, eux, les subissent plus souvent. Sans surprise, ce sont les moins de 30 ans qui sont surreprésentés. Pour les femmes, vivre en couple avec enfant réduit fortement la probabilité d’occuper ce type d’emplois. Ce n’est pas le cas pour des hommes dans la même situation familiale. 



Perturbations sociales 
et sanitaires


À autres caractéristiques comparables, les salariés qui travaillent la nuit ont une rémunération plus élevée. Ils peuvent aussi recevoir des repos compensateurs, en fonction de leur convention collective ; a minima, ils doivent disposer d’au moins 11 heures de repos consécutif après leur période de travail nocturne. Sauf exception, le travail ne peut excéder 8 heures consécutives, et 40 heures mensuelles. Par ailleurs, les travailleurs de nuit bénéficient d’une protection médicale particulière.

À partir de plusieurs études allant dans le même sens, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a rendu un rapport soulignant les dégâts du travail de nuit. Liste non exhaustive : le travail de nuit entraîne des perturbations de la vie sociale et familiale des salariés (d’autant qu’ils sont plus souvent amenés à travailler le week-end), et fait peser de nombreux risques sur leur santé. À court terme, on peut voir apparaître des troubles du sommeil et digestifs et un déséquilibre nutritionnel ; à plus long terme, des risques cardiovasculaires accrus, une usure prématurée de l’organisme, et même, selon des études, dont l’une menée par le Circ (Centre international de recherche sur le cancer), une probabilité accrue de cancer, liée à une exposition nocturne à la lumière qui fait baisser la production des défenses immunitaires. 

De plus, les professionnels concernés doivent subir des conditions de travail nettement plus difficiles que les autres salariés : ils sont soumis à des facteurs de pénibilité physique plus nombreux (la plupart des équipes en 3 x 8 se situant dans l’industrie), une pression temporelle plus forte avec de fortes contraintes de productivité (les possibilités d’heures supplémentaires ou de dépassement des temps impartis étant moins réalisables que pour les salariés de jour), des tensions avec leurs collègues ou le public plus fréquentes (surtout dans les emplois de la fonction publique, qui les amènent à être plus souvent au contact d’une population en détresse), et des risques d’accidents du travail plus nombreux.

Ces contraintes se traduisent par un sentiment plus fréquent d’usure professionnelle : les travailleurs de nuit sont significativement plus nombreux à penser qu’ils ne « tiendront » pas jusqu’à leur retraite (43 % d’entre eux, contre 27 % pour l’ensemble des salariés).


Un meilleur encadrement ?


Faut-il alors encadrer davantage le travail de nuit ? C’est ce que préconise le Cese, qui propose notamment de limiter les mesures dérogatoires permises par les accords de branche. De plus, la notion de « continuité de l’activité économique » qui constitue la justification du recours au travail de nuit pourrait être mieux définie, afin de limiter les abus. Le repos compensateur devrait aussi être augmenté, afin de réellement prendre en compte les effets nocifs du travail de nuit sur les rythmes humains et sociaux des travailleurs concernés. 

Plus fondamentalement, ces études posent une question qui concerne tous les salariés subissant des horaires atypiques : à l’heure où la flexibilité apparaît dans le discours public comme l’un des leviers de la lutte contre le chômage, ne serait-il pas temps d’interroger sérieusement la place du travail dans nos existences ? Afin que les contraintes qui soient liées à son exécution soient le moins nocives pour notre santé et, au-delà, notre vie sociale.

Dares, « Le travail de nuit en 2012 », août 2014.

François Édouard, « Le travail de nuit : impact sur les conditions de travail et de vie des salariés », rapport du Conseil économique, social et environnemental », août 2010.

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