dimanche 12 octobre 2014

Ebola : « Ce n'est pas en niant la possibilité du risque que l'on va rassurer les gens »

Les mouvements de panique commencent à se faire jour en France face à la propagation sans précédent du virus Ebola – responsable de 3 900 morts en Afrique de l'Ouest – et le rapatriement de plus en plus de patients infectés en Occident. Après un début de panique dans une école primaire accueillant un enfant arrivé de Guinée à Boulogne-Billancourt, un bâtiment public de Cergy-Pointe (Val-d'Oise) a été bouclé pendant une heure, jeudi 9 octobre, avec une soixantaine de personnes à l'intérieur, suite au malaise d'un jeune homme également de retour de Guinée. Une fausse alerte.


William Dab, médecin, titulaire de la chaire d'hygiène et sécurité du Conservatoire national des arts et métiers, directeur du laboratoire de recherche Modélisation et surveillance des risques pour la sécurité sanitaire, et auteur du blog Des risques et des hommes sur LeMonde.fr, revient sur la gestion des crises sanitaires et rappelle que « la question clé est celle de la confiance » de la population et de la « crédibilité des autorités sanitaires ».

Existe-t-il actuellement une psychose autour d'Ebola dans les pays occidentaux ?

William Dab : Je trouve le mot « psychose » excessif. Il existe plutôt une forte inquiétude légitime. Les modes de transmission de la maladie sont connus : ils demandent des contacts étroits avec la personne infectée (avec les liquides biologiques tels que la salive, le sang, le sperme) et il n'y a pas de transmission aérienne. On est donc dans une situation a priori maîtrisable dans des pays à haut niveau d'hygiène.

Malgré ces éléments rassurants, on a vu qu'aux Etats-Unis comme en Espagne, les systèmes de santé n'étaient pas suffisamment préparés pour gérer correctement des cas d'Ebola. Aux Etats-Unis, cela fait plus de dix ans que la lutte contre le bioterrorisme est une priorité présidentielle, et malgré tout, dans un hôpital qui n'est pas au fin fond du Middle West – c'est quand même Dallas au Texas –, des erreurs considérables ont été commises, qui montrent que le corps médical ne possède pas les réflexes de base pour prendre en charge les malades d'Ebola. En Espagne, il y a eu également une série d'improvisations et de protections inappropriées. L'inquiétude qui est en train de se manifester dans les pays occidentaux, et notamment en France, vient d'une certaine impréparation du personnel de santé.

Le terrain est en train de devenir favorable à des réactions inappropriées de grande ampleur. Dans les crises sanitaires, la question clé est celle de la confiance. Le fait que des grands pays, que ce soient les Etats-Unis ou l'Espagne, montrent qu'ils ne sont pas pleinement capables de maîtriser des signaux d'alerte crée une situation de perte de confiance. Et quand la population perd confiance, toutes sortes de réactions peuvent surgir. C'est ce qu'on a connu au moment du SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), lorsque des gens ont, par exemple, refusé de travailler avec certains de leurs collègues qui revenaient d'Asie. Des entreprises ont dû fermer à ce moment-là. Aujourd'hui, on pourrait voir des parents qui ne veulent plus envoyer leurs enfants à l'école car il y a des enfants africains dans les classes.



Tout savoir sur le virus Ebola par lemondefr


Audrey Garric, Le Monde du 10 octobre 2014.


Comment obtenir la confiance de la population et la rassurer ?

Il ne suffit pas de rassurer la population. Il faut également lui expliquer qu'en dépit d'un risque faible, l'intensité des échanges internationaux et la complexité de la mondialisation peuvent provoquer l'entrée du virus dans nos pays. Il faut reconnaître ce risque et appeler à la vigilance. En raison des exemples américain et espagnol de mauvaise gestion des cas d'Ebola, s'appuyer uniquement sur des messages rassurants pour gagner la confiance de la population serait insuffisant. Il faut reconnaître la possibilité d'une erreur pour lutter efficacement contre le virus, en appelant les personnels de santé à être vigilants et à ne pas banaliser les cas de transmission possibles. Il est absolument essentiel que les autorités sanitaires gardent leur crédibilité. Or, cela sera impossible si l'on tient un discours officiel trop rassurant et que des erreurs surviennent sur le terrain.

Nous allons rentrer dans une phase où il va également falloir fournir des réponses pratiques aux citoyens qui posent des questions. Pour cela, il faut notamment ouvrir des lignes d'information téléphoniques et des sites Web. On a franchi une étape dans l'appréhension du risque car le virus se rapproche de nous. C'est le moment-clé où il est essentiel de fournir à la population des réponses concrètes. Sinon, des forums sur Internet vont s'ouvrir et l'on ne pourra pas garantir la qualité des réponses.

La solution est-t-elle donc la transparence totale ? Faut-il communiquer sur tous les cas, y compris ceux suspects ?

Oui, car si nous faisons face à des rumeurs, l'inquiétude de la population va considérablement augmenter. Le niveau de crainte dans la population est structuré par trois éléments : le risque réel tel qu'il est apprécié en épidémiologie – qui est aujourd'hui faible en Europe – mais aussi  l'incertitude et le niveau de confiance dans la capacité des autorités à protéger efficacement contre le virus. L'erreur que font souvent les spécialistes est de croire qu'il suffit de communiquer sur le niveau du risque épidémiologique pour rassurer. Si l'on ne communique pas sur les cas douteux, on va créer une situation d'incertitude qui va aggraver l'inquiétude.

En France, la confiance est forte. Mais elle peut s'effondrer en quelques heures dans le cas d'une erreur de gestion dans des situations d'urgence, comme en Espagne. Il faut donc être particulièrement vigilant.

Mais si on communique trop, ne risque-t-on pas d'augmenter l'inquiétude ?

Non, je ne pense pas. On va être dans cette situation de grave épidémie en Afrique de l'Ouest pendant plusieurs mois. Il faut habituer les gens à ce risque. C'est en apprenant à être vigilant face à ce risque qu'on pourra le maîtriser. Ce qui est intéressant n'est pas de communiquer sur l'existance de tel ou tel cas mais de dire comment fonctionne, en bien ou en mal, notre système de gestion des alertes et de prise en charge des malades suspects.

Ce n'est pas en niant la possibilité du risque, que l'on va rassurer les gens. C'est, au contraire, en disant qu'il y a une éventualité, que nous la prenons en compte et que nous nous y préparons collectivement. Lors de l'accident de Tchnernobyl, en 1986, on voit bien que l'on a fait effondrer la confiance de la population à trop vouloir rassurer.

Jugez-vous suffisants les protocoles mis en place par la France pour prendre en charge les cas d'Ebola ?

Oui, ces protocoles sont éprouvés tant par l'Organisation mondiale de la santé et les autorités de sécurité sanitaire que l'expérience de terrain, notamment avec les personnels de Médecins sans frontières. Le problème n'est pas la qualité des protocoles. Il y a une différence entre ce qu'ils prévoient et la manière dont les acteurs l'appliquent sur le terrain. C'est là que se situent les failles possibles du système. L'enjeu est de s'assurer que l'ensemble de nos personnels hospitaliers vont correctement appliquer ces protocoles.

Il faut appeler à un effort d'entraînement et de formation généralisés. Le ministère de la santé devrait demander à tous les services des urgences des hôpitaux de France de faire un exercice d'entraînement et de simuler l'arrivée d'un cas suspect d'Ebola. Ce n'est pas compliqué ni coûteux à mettre en œuvre. Le dispositif organisationnel existe déjà : ce sont les plans blancs de réponse aux situations d'urgence. Cela permettrait de mettre le doigt sur les difficultés et d'adapter les protocoles à la réalité de chaque terrain. Certains vont trouver que c'est exagéré, compte tenu du peu de cas. Mais les conséquences d'un effondrement de la confiance sont telles qu'il faut faire cet effort maintenant, afin que les professionnels n'improvisent pas leur conduite quand l'événement rare surviendra.

Pensez-vous qu'il existe un risque épidémique en France ?


Ce risque est très faible. Notre personnel de santé possède les compétences, le niveau de vigilance et les équipements. Maintenant, comme on l'a vu aux Etats-Unis, la source de défaillance est le facteur humain. Je ne peux donc pas écarter des scénarios complexes où différents paramètres s'ajouteraient et qui entraîneraient une transmission du virus. On ne peut donc pas exclure d'avoir un foyer épidémique en France. Mais, dans cette hypothèse, on serait en capacité de le maîtriser, comme on l'a fait pour le SRAS, alors qu'il était transmis par l'air, ce qui est autrement plus problématique. Mais le risque n'est pas nul. S'il se réalisait, on nous dirait : « C'est Tchernobyl bis, ils ne nous disent pas la vérité. »


Audrey Garric, Le Monde du 10 octobre 2014.

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