dimanche 19 octobre 2014

L’un des deux vaccins attendus contre Ebola ne sera pas disponible avant 2016

Les vaccins développés dans l’urgence contre le virus Ebola parviendront-ils à temps pour immuniser les soignants et les populations les plus exposés et enrayer enfin l’épidémie qui sévit depuis mars 2014 en Afrique de l’Ouest, avec plus de 4 500 morts ? La question est posée après les déclarations du responsable de la recherche vaccinale de la firme pharmaceutique britannique GlaxoSmithKline (GSK), qui reconnaît des retards à lancer ce programme et n’envisage pas que son vaccin puisse être disponible avant 2016.


GSK travaille sur l’un des deux candidats vaccins contre le virus de la fièvre Ebola identifiés comme prometteurs par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Baptisé cAd3-ZEBOV, il utilise un adénovirus de chimpanzé, inoffensif pour l’homme, dans lequel a été inséré un gène non infectieux du virus Ebola afin d’éduquer le système immunitaire à reconnaître et à détruire ce dernier.

Après des résultats encourageants lors d’essais sur des singes, la phase préliminaire d’études chez l’homme a été lancée au début d’octobre sur des volontaires sains aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Elle aura également bientôt lieu sur le continent africain, au Mali et au Ghana. Au total, 160 volontaires y prendront part.
Parallèlement au développement du procédé de fabrication industrielle, ces essais dits « de phase 1 » n’ont pour but que l’évaluation de l’innocuité et de la tolérance du candidat vaccin, ainsi qu’une première estimation de sa capacité à induire une réaction immunitaire. L’efficacité est jugée lors d’essais cliniques ultérieurs, dits « de phase 2 ». Et il faut également déterminer le bon dosage et pratiquer des essais à plus grande échelle (phase 3) afin de consolider les connaissances sur la protection induite.

Un vaccin expérimental est développé au Canada, à Winnipeg.
Un vaccin expérimental est développé au Canada,
à Winnipeg. | AFP / MICHEL COMTE

TROP TARD POUR CETTE ÉPIDÉMIE

 

Dans un entretien accordé à la BBC, mis en ligne vendredi 17 octobre, le docteur Ripley Ballou, directeur du programme de recherche vaccinale sur Ebola chez GSK, a indiqué que les données complètes de sécurité et d’efficacité ne seraient pas disponibles avant la fin de l’année 2015. GSK espère disposer de près de 20 000 doses prêtes à être testées au début de l’année prochaine. « Nous devons être capables de fabriquer le vaccin dosé conformément à ce qu’il faudra utiliser en pratique courante et cela nous entraînera largement en 2016 pour en arriver là, a déclaré le docteur Ballou. Je ne pense pas que l’on puisse le considérer comme la première réponse à cette épidémie en cours, mais les essais en cours pourront aider dans le futur. »
« Entendre GSK affirmer qu’un vaccin Ebola arrivera “trop tard” est franchement décevant, a réagi le docteur Manica Balasegaram, directeur exécutif de la campagne d’accès aux médicaments de Médecins sans frontières. Nous reconnaissons et approuvons le développement fortement accéléré du vaccin Ebola de GSK, mais les efforts doivent s’intensifier, car nous pensons qu’un vaccin serait important pour enrayer cette épidémie, de même que prévenir et contrôler Ebola à l’avenir. Personne ne sait combien de temps durera cette épidémie. Nos patients, ceux qui travaillent en première ligne et la population de l’Afrique de l’Ouest ne peuvent entendre que c’est trop tard. »
Pour ce responsable de MSF, la situation sur le terrain est « catastrophique ». Dans cette crise, « un vaccin pourrait être le point charnière », affirme-t-il. « Cette épidémie ne permet aucun retard, et l’impact d’un vaccin sur le nombre de gens qui seront atteints et qui mourront d’Ebola pourrait être significatif. Les pays doivent aussi jouer leur rôle en incitant et en facilitant son développement. Nous encourageons GSK, de même que tous les autres développeurs de vaccins, à tout mettre en œuvre et à être ambitieux afin d’obtenir un vaccin sûr et efficace pour l’Afrique de l’Ouest aussi vite que possible. »

ATERMOIEMENTS

 

Accélérer la mise au point et la fabrication d’un vaccin est indispensable, mais il n’est pas question de faire n’importe quoi, tout le monde est d’accord sur ce point. Dans cette course contre la montre, qui se chiffre en milliers de vies, le docteur Ballou, dans son entretien à la BBC, révèle des atermoiements lors des discussions sur l’accélération du développement d’un vaccin contre Ebola qu’a eues GSK avec l’OMS en mars 2014, alors que l’épidémie avait déjà débuté. D’après lui, cette nécessité avait été écartée.
« Personne n’a anticipé que nous aurions besoin d’un vaccin. De ce fait, en interne et — je crois — à l’OMS, nous avons pensé que la meilleure attitude serait de surveiller étroitement l’épidémie. » Le journaliste de la BBC Simon Cox commente : « Sept mois plus tard, avec un virus hors de contrôle, [le docteur Ripley Ballou] concède : “Rétrospectivement, je pense que nous aurions dû déclencher le tir plus tôt. Mais, vous savez, ce qui est fait est fait, et nous travaillons étroitement avec l’OMS. Il n’y a pas lieu de pointer du doigt les uns ou les autres à ce sujet”. » Pas sûr que tout le monde passe ces retards par pertes et profits.

Par Paul Benkimoun.
Article publié dans le journal Le Monde du 18 octobre 2014.

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