lundi 27 octobre 2014

La Hadopi en quête de nouvelles missions La Haute Autorité présente son rapport d'activité sur fond de remise en question de son efficacité

Que faire de la Hadopi ? C'est la question que se pose le gouvernement, alors que la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet va présenter, mardi 28  octobre, son quatrième rapport d'activité. A ce jour, la Hadopi constitue un véritable casse-tête et le malaise autour de cette jeune institution est de plus en plus perceptible.


Voulue par Nicolas Sarkozy et créée en  2010 pour lutter contre la piraterie sur Internet, la Hadopi était vouée à une disparition certaine en  2012 au cas où la gauche revenait au pouvoir. Mais déjouant tous les pronostics, elle existe encore quatre  ans après son lancement, preuve de son instinct de survie, voire de son utilité…
Depuis la rentrée, l'institution a vu s'éloigner la perspective de son intégration au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Préconisée par le rapport sur l'" Acte II de l'exception culturelle ", remis en mai  2013 par Pierre Lescure à François Hollande et l'ex ministre de la culture Aurélie Filippetti, cette solution semble aujourd'hui définitivement écartée.
Pour le gouvernement, cette piste présentait de nombreux inconvénients. Elle l'obligeait à affronter un débat parlementaire sur le sujet de la protection des œuvres et de la lutte contre le piratage, au risque de rallumer des débats enfiévrés, dignes de ceux de la loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (DADVSI) en  2006, ancêtre de la Hadopi.
De plus, le CSA et son président Olivier Schrameck ont manifesté un enthousiasme des plus modéré, face à la perspective d'accueillir les services de la Hadopi en leur sein. Quant au secteur de la musique et du cinéma, ils étaient très hostiles à ce transfert.
Dans ces conditions, l'avenir de la Hadopi continue d'être incertain. Celle-ci doit promouvoir le développement de l'offre légale, et lutter contre la contrefaçon commerciale, ce qu'elle fait dans le cadre de la riposte graduée. Or elle est accusée de privilégier sa première mission au détriment de la seconde. Il faut dire que depuis un an, elle ne peut plus appliquer la sanction de la coupure d'accès à Internet pour les internautes en infraction.
Pour répondre à ses détracteurs, la Hadopi entend valoriser son bilan. Au cours de l'année, elle a accéléré le rythme des avertissements envoyés aux internautes téléchargeant illégalement sur les réseaux pair-à-pair. Celui-ci a doublé : plus de 300 000 premiers avertissements, sous la forme d'un mail, et 150 000 deuxièmes avertissements, sous forme d'une lettre remise par signature, ont été envoyés.
Trois  millions de premiers avertissements et plus de 300 000 deuxièmes avertissements ont déjà été adressés depuis les débuts de la Hadopi. Lors du premier mail, les internautes sont moins de 5  % à prendre contact avec l'autorité, alors qu'à la 3e alerte, ils sont plus de 40  % à le faire. La pédagogie semble en quelque sorte démontrer son efficacité.
" Comportement inqualifiable "Aujourd'hui, le malaise autour de l'avenir l'institution se cristallise sur deux sujets : son secrétaire général Eric Walter qui fait l'objet d'attaques ciblées de la part des ayant droits et la réduction de son budget.
Fin septembre, au cours du 69e congrès de la Fédération nationale des cinémas français, qui regroupe les exploitants de salles, Nicolas Seydoux, président de Gaumont et de l'Alpa (Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle) s'en est pris à Eric Walter, l'accusant d'avoir un " comportement inqualifiable ", pour avoir notamment déclaré que le problème du téléchargement était " réglé ". Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication, a aussi reçu en septembre, une lettre du BLIC, du BLOC et de l'UPF, trois instances fédérant l'industrie du cinéma critiquant la Hadopi qui va " à l'encontre de la mission pour laquelle elle a été créée ".
Dans ces conditions, la décision du gouvernement de fixer le budget de la Hadopi à 6  millions d'euros, – ce qui lui laisse peu de marges de manœuvre financières, sa masse salariale atteignant 5,5  millions d'euros – a provoqué une protestation des agents de l'institution, qui craignent une asphyxie budgétaire. En quatre ans, l'institution a ainsi vu sa dotation budgétaire baisser de 50  %.
La réponse de Marie-Françoise Marais, présidente de la Hadopi, ne s'est pas fait attendre. Suite à l'annonce de la réduction du budget, qui l'empêche de mener à bien des travaux sur une alternative à la lutte contre le partage d'œuvres entre particuliers sur Internet, elle a aussitôt indiqué qu'elle n'aurait pas d'autres choix que de réduire aussi la voilure sur la riposte graduée.
Pourtant, vu du gouvernement, le cap est clair : " Nous avons sans doute sous-estimé l'impact du piratage de masse, il est pourtant une vraie source d'appauvrissement pour l'ensemble du secteur de la création. La réponse graduée garde toute son actualité ", a ainsi rappelé, le 15  septembre, le premier ministre Manuel Valls, lors de l'inauguration de l'exposition Nikki de Saint-Phalle au Grand Palais, en présence de Fleur Pellerin.
Dans le même temps, le gouvernement estime qu'il faudrait faire plus et s'occuper du streaming et du téléchargement direct qui ne sont pas couverts par la riposte graduée. Dans ce cadre, est envisagée la mise en place de " listes noires " des sites illégaux, dont le suivi pourrait éventuellement être confié à la Hadopi. Cette piste a été avancée par Fleur Pellerin le 23  octobre devant la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale. Ce serait un indice que le gouvernement ne veut pas la mort de la Haute autorité.
Car la principale menace qui pèse sur la Hadopi, c'est bien l'obsolescence de ses missions. Comme le rappelait Vincent Grimond, un des patrons de la société de production Wild Bunch, lors des Assises européennes du cinéma organisées à Dijon, si le pair à pair redevient " sûr ",les internautes en retrouveront vite le chemin. Notamment grâce au site Popcorn Time dont l'interface très simple et efficace est de meilleure qualité que celui du site américain de vidéo à la demande Netflix. Dans ces conditions, il est toujours plus tentant de vouloir visionner films et séries gratuitement.
Alain Beuve-Méry, et Alexandre Piquard
© Le Monde 28/10/2014

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