lundi 23 mars 2015

Fin de vie : les quatre points qui font débat

L’examen à l’Assemblée, mardi 10 et mercredi 11 mars, de la proposition de loi sur la fin de vie des députés Alain Claeys (PS, Vienne) et Jean Leonetti (UMP, Alpes-Maritimes) devrait avoir lieu dans un climat un peu moins apaisé et consensuel que ne l’avait sans doute espéré le président de la République. Après avoir beaucoup consulté sur cette question depuis son élection il y a bientôt trois ans, c’est « dans un esprit de rassemblement » et dans un souci d’apaisement que François Hollande avait demandé aux deux parlementaires d’élaborer ce qui doit être la deuxième grande réforme sociétale de son quinquennat, après le mariage pour tous.


La proposition de loi, qui n’autorise ni euthanasie ni suicide assisté mais instaure un droit à une sédation « profonde et continue » jusqu’au décès pour les malades en phase terminale, ainsi que des directives anticipées contraignantes, est loin de faire l’unanimité.
 

La sédation « profonde et ­continue » peut-elle provoquer la mort ?

 

Cette question est la plus débattue. Tugdual Derville, le porte-parole d’Alliance Vita et de Soulager mais pas tuer, parle d’une « salade empoisonnée » car le texte mélangerait les « bonnes » et les « mauvaises » sédations, celles qui provoqueraient la mort. « Il y a une différence fondamentale entre sédation profonde et continue jusqu’au décès et euthanasie, juge pour sa part le professeur Régis Aubry, chef du service de soins palliatifs du CHU de Besançon et président de l’Observatoire national de la fin de vie. Dans le cadre actuel, validé par la Haute Autorité de santé en 2010, la sédation profonde et continue induit une altération de la vigilance et de la conscience dans le but d’apaiser les souffrances, tout en permettant au médecin de continuer à évaluer l’état de son patient. Mais cela n’accélère probablement pas la survenue du décès. » Un mésusage du Midazolam, principal produit utilisé en sédation, pourrait entraîner la mort, mais ce n’est pas un médicament classique de l’euthanasie, estime le médecin.

L’arrêt de la nutrition et de l’hydratation artificielles est-il source de souffrance et accélère-t-il le décès ?

 

La proposition de loi prévoit que la sédation sera obligatoirement associée à l’arrêt de tout traitement de maintien artificiel en vie : médicaments à visée thérapeutique (antibiotiques, anticoagulants…), techniques invasives de réanimation, mais également traitements de survie comme la nutrition et l’hydratation artificielles. La question de ces derniers est particulièrement sensible. « Si la sédation profonde dure cinq jours, la déshydratation se voit sur le visage. Il y a des proches qui vont être choqués par ce qui se passe. Ce sont des jours abominables », assure un élu PS, favorable à une aide active à mourir.
« Les patients ne meurent pas de faim et de soif comme le prétendent certains, mais cela entraîne une déshydratation et une dénutrition. Faute d’études scientifiques, on ne sait pas très bien quel est le degré de souffrance induit », précise Régis Aubry. Un débat que Jean Leonetti assure ne pas comprendre. « Après une anesthésie générale, quelqu’un a-t-il le souvenir d’avoir eu faim ou soif ? », demande-t-il.

Faut-il instaurer une clause de conscience ?

 Comme elle le fait déjà pour les interruptions volontaires de grossesse, la loi doit-elle spécifiquement autoriser les médecins à ne pas pratiquer une sédation « profonde et continue » jusqu’à la mort si cela devait heurter leurs convictions ? Le député PS du Val-d’Oise Gérard Sebaoun, favorable à la mise en place d’une aide médicalisée active à mourir, a soumis un amendement en ce sens lors de l’examen de la proposition de loi en commission le 17 février.
Sa démarche s’est heurtée à un refus quasi-unanime. « Introduire la clause dénaturerait le texte et laisserait à penser que le texte a une visée euthanasique », a estimé le député UMP de l’Isère Jean-Pierre Barbier. « Grâce à l’équilibre trouvé du texte, une clause de conscience spécifique n’est pas nécessaire », assure le Conseil national de l’ordre des médecins. En effet, « hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité », le code de déontologie médicale et le code de santé publique prévoient déjà qu’un médecin a le droit de refuser des soins « pour des raisons professionnelles ou personnelles ».


Les directives anticipées seront-elles contraignantes ?

 Lorsqu’un patient n’est plus en état d’exprimer ses volontés, ses directives anticipées – des consignes écrites concernant sa fin de vie – sont aujourd’hui simplement « prises en compte » par le corps médical. Si la proposition de loi est adoptée, elles pourront s’imposer « pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement », sauf s’il y a « urgence vitale (…) pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation » ou si « les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ». Pour « se délier de l’obligation de les respecter », le médecin devra alors « consulter un avis collégial », qui s’imposera.
« Mettre ces deux conditions, c’est tout autoriser », estime Jean-Luc Romero, le président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), pour qui « on va avoir des recours juridiques à ne plus en finir ». « La formulation“manifestement inappropriée” me paraît être une source de contentieux », jugeait également Frédérique Dreifuss-Netter, conseillère à la Cour de cassation, lors d’un colloque au Sénat le 19 février, « estimant dommage de se limiter à des directives de refus ».

Sandrine Cabut et François Béguin, Le Monde 09/03/2015.

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