Les étudiants sont 30 % à n’avoir aucune aide de leur famille, observe Antoine Dulin, du conseil d’orientation des politiques de jeunesse.
Antoine
Dulin est président de la commission insertion des jeunes au conseil
d’orientation des politiques de jeunesse et membre du CESE (Conseil
économique, social et environnemental). Pour lui, il y a une
augmentation de la précarité étudiante, avec des situations « indignes de notre pays » qui risquent de renforcer « la défiance de la jeunesse envers notre pacte social ».
La précarité étudiante s’est-elle aggravée ces dernières années ?
Le
terme de « précarité » est toujours compliqué à définir, il porte sur
les conditions monétaires mais aussi sur les conditions de vie. On sait
qu’aujourd’hui un jeune sur cinq est en dessous du seuil de pauvreté.
22 % des étudiants se disent confrontés à des difficultés financières
importantes, 5 % sont en grande précarité, d’après l’Observatoire
national de la vie étudiante.
Chez les
étudiants comme chez les jeunes, il y a une augmentation du nombre de
personnes en situation de précarité. C’est indéniable au regard de
différents indices. L’augmentation des demandes d’aide d’urgence de la
part des étudiants : 3,5 % il y a vingt ans, 5 % aujourd’hui. De manière
mécanique, la population étudiante a fortement crû, avec 500 000
étudiants de plus cette dernière décennie, donc proportionnellement, les
étudiants sont plus nombreux à être concernés. Bien sûr, la précarité
étudiante a toujours existé, mais, aujourd’hui, la population la plus
touchée par la pauvreté, ce sont les jeunes.
Les difficultés financières des étudiants en précarité sont-elles plus sévères ?
Cela
devient plus dur parce que le coût de la vie a augmenté,
particulièrement celui du logement, qui représente 70 % du budget d’un
étudiant. Le système des bourses sur critères sociaux n’a pas été
réévalué en suivant l’inflation et il n’y a pas assez de logements
étudiants.
Des professeurs
voient des étudiants qui dorment dans leur voiture, entendent que
certains ne mangent qu’une fois par jour. Que ce soit la Croix-Rouge, le
Secours populaire, le Secours catholique… ces associations tirent la
sonnette d’alarme, elles ont de plus en plus de jeunes qui demandent de
l’aide alimentaire. Des organisations étudiantes, comme la FAGE,
développent des épiceries sociales sur les campus, elles répondent à un
besoin. Cela n’existait pas il y a vingt ans.
La
démocratisation de l’enseignement ces dernières décennies – et c’est
une très bonne chose – a mené à l’université des jeunes de milieu
populaire qui n’y venaient pas jusque-là. Ces jeunes sont moins aidés
par leur famille : 30 % des étudiants n’ont aucune aide de leur famille,
35 % dans les milieux populaires. Pour l’aide à son enfant, le
différentiel entre un enfant de cadre et d’ouvrier est de 1 à 5
(460 euros contre 110 euros).
La pauvreté est-elle vécue différemment quand on est étudiant ?
C’est
compliqué en soi d’assumer une situation de pauvreté, mais quand on est
étudiant, on a en plus l’impression de ne pas être comme les autres.
Parce que, fort heureusement, la très grande pauvreté ne touche qu’une
minorité. Dire que les étudiants ont la belle vie, c’est vrai pour ceux
de milieux favorisés, qui bénéficient du soutien de leur famille. Mais
certaines familles n’y arrivent plus, qu’elles soient en grande
difficulté financière, ou dans la classe moyenne. Des parents qui ont
plusieurs enfants en études n’arrivent plus à joindre les deux bouts.
C’est intégré par les étudiants, qui ne veulent pas être « un poids »
pour leur famille, et ont une pression d’autant plus forte à la
réussite.
Pourquoi les bourses, ou les petits jobs, ne permettent-ils pas de pallier ces situations ?
Un
étudiant sur deux travaille, une grande partie pour des raisons
financières. Mais cela a ses limites : au-delà de douze heures par
semaine, cela a un impact négatif fort sur la réussite dans les études.
Heureusement, nous avons un système de protection sociale pour les
étudiants, avec les bourses, contrairement aux jeunes qui ne sont ni en
emploi ni en formation. Mais, dans ce système, il est difficile de
prendre en compte le fait que les parents n’aident pas ou plus en cours
de parcours, que ce soit dans les situations de rupture familiale, ou
qu’ils aient un bon revenu mais des charges telles qu’elles les en
empêchent.
La société considère-t-elle qu’il est normal d’être précaire quand on est un étudiant ?
On ne peut pas penser, comme on a pu parfois l’entendre, que cette forme de bizutage, ce système D, est acceptable. Le geste de cet étudiant lyonnais qui s’est immolé en dénonçant sa précarité a
provoqué une prise de conscience. Cette précarité est indigne de notre
pays, mais elle est d’autant plus grave qu’elle a des conséquences sur
la confiance de nos jeunes dans le système de protection sociale et de
solidarité intergénérationnelle. En laissant perdurer cette grande
pauvreté, on renforce la défiance envers notre pacte social. Il ne faut
pas oublier que ce sont eux, les jeunes, qui vont contribuer demain à ce
système : si on veut qu’ils y adhèrent, il faut qu’ils le voient en
action.
Source : Le Monde, 28/11/2019.
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