Selon une enquête, 9 % des chirurgiens-dentistes, 11 % des gynécologues et 15 % des psychiatres refusent, sous certaines conditions, de donner un rendez-vous.
Des médecins spécialistes qui refusent un rendez-vous au motif que le patient est bénéficiaire d’une aide à la complémentaire santé :
le phénomène est bien présent et d’ampleur. C’est ce que montre le
testing mené début 2019 par le Défenseur des droits et le Fonds CMU-C
auprès de 1 500 cabinets médicaux. Selon cette enquête publiée mardi
29 octobre – la première d’une telle ampleur depuis près de quinze ans
–, 9 % des chirurgiens-dentistes, 11 % des gynécologues et 15 % des
psychiatres libéraux discriminent les patients bénéficiaires d’une aide sociale à la complémentaire santé en refusant de leur donner un rendez-vous qu’ils accordent dans le même temps à un patient « lambda ».
Au
total, en moyenne, 12 % des cabinets contactés se montrent
discriminants. Et il ne s’agit que d’une moyenne nationale. Les refus de
soins discriminatoires sont très variables selon les régions, « ce qui n’avait pas pu être montré jusqu’ici ».
A Paris, ce sont près de quatre dentistes sur dix (38,2 %), d’un
gynécologue sur quatre (26,2 %) et d’un psychiatre sur trois (31 %) qui
refusent des patients en situation de précarité économique. Si Paris est
particulièrement mauvaise élève, toute l’Ile-de-France est concernée.
Le taux de refus de soins n’est par ailleurs pas lié à la densité de
médecins dans la commune : les patients habitant un désert médical ne
s’exposent pas à davantage de refus.
Une part importante de la population française est concernée par ces situations de refus de soins jugées « discriminatoires, explicites et directes » par
les auteurs de l’étude. On compte 5,64 millions de bénéficiaires de la
couverture-maladie universelle complémentaire (CMU-C), qui vivent avec
moins de 746 euros de ressources mensuelles, et 1,7 million de
bénéficiaires de l’Aide à la complémentaire santé (ACS), qui touchent
entre 746 et 1 007 euros de ressources mensuelles. Soit au total, alors
que ces deux dispositifs doivent être fusionnés à partir du 1er novembre,
plus de 7,3 millions de personnes dispensées de l’avance de frais et à
qui des dépassements d’honoraires ne peuvent pas être facturés.
« Complexité du dispositif »
A
l’origine d’une telle étude, supervisée par trois universitaires
spécialistes des questions de discrimination, le souhait du Défenseur
des droits d’actualiser des enquêtes anciennes, qui portaient de
surcroît sur « des échantillons restreints et des périmètres géographiques réduits ». L’étude parue mardi, réalisée à grande échelle, conforte les résultats des enquêtes précédentes. « Dans
deux cas sur trois, les refus de soins sont déguisés sous un autre
motif et les patients ne savent pas qu’ils en sont victimes, d’où
l’intérêt de la méthode du testing », explique Marielle Chappuis,
chargée d’études auprès du Défenseur des droits. Une soixantaine de
dossiers sont actuellement en cours d’instruction auprès de
l’institution sur cette question.
Le testing, réalisé à partir de trois
profils de patients fictifs (soit 4 500 demandes effectives de
rendez-vous), permet également de montrer que le taux global des refus
de rendez-vous (qu’ils soient licites ou discriminatoires) témoigne de « l’ampleur des difficultés d’accès aux soins des patients en situation de précarité » :
42 % des patients bénéficiaires de la CMU-C ou de l’ACS n’ont pas eu
accès à un rendez-vous, ce taux variant de 25 % à 66 % selon la
spécialité.
Les médecins
spécialistes inscrits en secteur 2 (autorisés à pratiquer des
dépassements d’honoraires) tendent à davantage discriminer que ceux en
secteur 1 (+ 6 points). Un constat qui permet au Défenseur des droits
d’avancer des explications à ces refus de prise de rendez-vous. « C’est
peut-être lié à une logique économique, en particulier pour les
médecins en secteur 2, parce qu’ils ne peuvent pas faire de dépassements
d’honoraires face à des patients bénéficiant de la CMU-C ou de l’ACS,
ou à une anticipation d’éventuelles complexités administratives, parce
qu’ils doivent pratiquer le tiers payant et par conséquent se faire
rembourser ensuite par la Sécurité sociale », estime Marielle Chappuis.
Autre
constat : les discriminations sont plus fortes à l’encontre des
bénéficiaires de l’ACS que de la CMU-C, avec près de deux fois plus de
refus de soins discriminatoires. « Cet écart peut traduire une
moindre connaissance du dispositif ou encore des anticipations des
professionnels de santé sur la complexité du dispositif, des contraintes
administratives, des délais et rejets de remboursements par les caisses
primaires d’assurance-maladie », notent les auteurs de l’étude.
« Listes blanches »
L’étude
a aussi testé l’effet de l’origine avec des demandes de rendez-vous
avec un prénom et un nom supposant une origine africaine et ne conclut
pas à une discrimination flagrante liée à l’origine. Mais l’addition des
deux variables (CMU-C + origine supposée africaine) conduit à des refus
importants. A Paris, 45 % des dentistes et 35 % des gynécologues
refusent de recevoir les patients présentant ce profil.
Sur
le terrain, les associations de patients confirment ces refus de soins
essuyés par les plus précaires. La hot line d’information juridique de
France Assos Santé, un regroupement de quatre-vingts associations de
patients, a, en 2018, recueilli 111 signalements sur 9 000 appels. La
Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM) traite 600 plaintes par an. « Il
y a de grands écarts entre la réalité quotidienne et le nombre de
saisines, ce qui conduit les différents ordres à nier l’ampleur de ces
discriminations même si certains professionnels qui siègent dans les
commissions de refus de soins sont sensibilisés à ces questions », souligne Féreuze Aziza, chargée de mission nationale Assurance-maladie à France Assos Santé.
« Il arrive que, sur la plate-forme de rendez-vous en ligne Doctolib, on tombe sur des mentions “pas de CMU-C” en dépit de la campagne que mène la plate-forme », ajoute Mme Aziza.
Les usagers éconduits renoncent parfois à se soigner, se tournent vers
les urgences ou s’adressent aux praticiens qui les acceptent. Les
associations ou les travailleurs sociaux fournissent ainsi des « listes blanches » de professionnels de santé qui ne mettent pas ces obstacles, ce qui conduit de fait à les surcharger.
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