vendredi 28 octobre 2016

"Moi, Daniel Blake", de Ken Loach : un film déchirant sur l'absurdité bureaucratique

"Moi, Daniel Blake" est le dernier film de Ken Loach, récompensé d'une Palme d'or lors du dernier festival de Cannes. Daniel a une cinquantaine d'années, il vient de survivre à une crise cardiaque et son médecin lui explique que son état de santé ne lui permet plus de travailler. Seulement, l'agence pour l'emploi britannique n'est pas de cet avis.

 


Voilà cinquante ans que le cinéaste britannique Ken Loach radiographie la société anglaise avec sa caméra, avec le prisme des classes populaires et pauvres. Ses films sont des témoignages forts sur la vie d’une population souvent laissée pour compte, condamnée à la débrouille. C’est toute l’histoire politique et sociétale d’un pays qui défile dans le viseur d’un réalisateur engagé et passionné.



Régulièrement nommé à Cannes, il entre avec "Moi, Daniel Blake" dans le cercle restreint et remarquable des doubles palmés. Récompensé par une seconde palme d’or cette année (après celle obtenue pour "Le vent se lève" en 2006), le cinéaste de 80 ans fait toujours preuve d’une vitalité admirative et son dernier film en est un exemple frappant.


La vie après une crise cardiaque



"Moi, Daniel Blake" résonne comme l’affirmation existentielle et revendicatrice d’un homme qui perd sa place sur le marché de l’emploi et que le système essaye de broyer. Ce simple citoyen a décidé de se battre pour faire respecter ses droits. Telle est l’histoire émouvante de Daniel, homme d’une cinquantaine d'années, rescapé d’une crise cardiaque et déclaré inapte au travail par ses médecins… mais pas par l’agence pour l’emploi.



Recalé après avoir rempli un questionnaire absurde, sa pension d'invalidité lui est refusée. Commence alors un combat éprouvant, parfois drôle, souvent pathétique, pour continuer à vivre sans céder à l’abattement. Personnage généreux, il prend également sous son aile Katie, une jeune mère de famille en difficulté. Ensemble, ils vont tenter d’avancer tant bien que mal dans une société qui ne fait pas de l’humain sa priorité… On est toujours saisi par cette capacité qu’à Ken Loach à nous intéresser à des sujets difficiles du quotidien, à captiver les spectateurs par les aventures ordinaires de gens en déshérence. Le parcours de Daniel nous laisse aussi admiratif que pensif et le film nous étreint comme un électrochoc, véritable appel à la conscience collective.


Réalité kafkaïenne



L’entretien de Daniel (Dave Johns) avec une conseillère chargée d’évaluer son degré d’invalidité se déroule pendant le générique d’ouverture, sur fond noir et en voix off. Une façon formelle pour Ken Loach d’introduire ce mur administratif auquel va se heurter le protagoniste : l’image est superflue, Daniel aussi, au regard de son interlocutrice, qui le somme de répondre uniquement par oui ou par non à des questions d'ordre médical, qui nient son individualité.



Cette opacité inaugurale est la première étape d’un engrenage dans lequel Daniel est malgré lui entraîné : ce menuisier veuf et travailleur n’est pas un profiteur, il ne demande qu’à exercer sa profession mais sa santé le lui interdit. Le film nous immerge dans la réalité kafkaïenne des dédales bureaucratiques qu’un documentaire comme "Pôle emploi, ne quittez pas !" avait déjà pointée chez nous.



Deux visions se heurtent : d’un côté, des agents appliquant des règles qu'ils n'ont pas édictées eux-mêmes et qui doivent rendre des comptes à leur hiérarchie. De l’autre, des usagers embourbés dans leurs problèmes, qui ne comprennent pas la rigueur qu’ils subissent et qui souffrent de ne pas être aidés comme ils le voudraient.


Tout un système qui ne fonctionne pas



Le personnage de la conseillère qui fait preuve d’empathie à l’égard de Daniel est éloquent. Hors de ses prérogatives, elle prend quelques secondes pour aider Daniel à remplir un formulaire sur ordinateur. On comprend qu'elle n'a pas le droit de le faire quand sa supérieure la convoque instantanément dans son bureau.
(...)

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