Pour l’OMS, la résistance aux antibiotiques constitue l’un des risques les plus graves pesant sur l’état sanitaire mondial. Son impact est « comparable à l’effet cumulé de la grippe, de la tuberculose et du virus du sida », alertent plusieurs études.
Beaucoup
ont encore en tête ce slogan efficace, popularisé en 2002 : « Les
antibiotiques, c’est pas automatique ». Si la campagne lancée en France
alors avait produit quelques fruits, ceux-ci semblent être tombés de
l’arbre depuis. Ainsi, en dix ans, la consommation globale de ces
précieux médicaments en médecine de ville est repartie à la hausse, de
28,6 doses pour 1 000 habitants en 2007 à 29,2 doses en 2017. Problème :
la surconsommation d’antibiotiques fait peser un risque très lourd pour
la santé des populations, les bactéries s’adaptant à ces molécules trop
ou mal utilisées, alertent plusieurs rapports émanant de l’OMS, de
l’OCDE ou d’un réseau de chercheurs européens spécialisés dans cette
problématique. À la veille de la Journée européenne d’information sur
les antibiotiques, organisée ce dimanche, un colloque s’est tenu hier au
ministère de la Santé sur les capacités de la recherche à répondre aux
défis de « l’antibiorésistance », c’est-à-dire au développement de
superbactéries contre lesquelles les molécules existantes ne peuvent
rien. L’occasion pour la ministre de la Recherche, Frédérique Vidal,
d’annoncer le lancement d’un programme, doté de 40 millions d’euros,
destiné à « comprendre les mécanismes d’apparition et de diffusion des
résistances et à découvrir de nouvelles cibles thérapeutiques ».
Premières victimes : nourrissons et personnes âgées
À la hauteur des enjeux ? Pas sûr. Le ministère de la
Santé reconnaît lui-même que sur ce sujet des infections
multirésistantes « la France ne figure pas en bonne position à l’échelle
mondiale : avec 125 000 infections par an et 5 500 décès, elle est le
6e pays européen le plus affecté après l’Italie, la Grèce, la Roumanie,
le Portugal et Chypre ». Une position qui n’augure rien de bon, quand on
regarde les projections des autorités internationales, pour le moins
préoccupantes. Selon les calculs de chercheurs publiés début novembre
dans la revue The Lancet Infectious Diseases, plus de 670 000 personnes
auraient été contaminées par ces superbactéries dans l’Union européenne
en 2015 (dont près des deux tiers en milieu hospitalier), et 33 110 en
seraient mortes. Premières victimes, les nourrissons de moins de 12 mois
et les plus de 65 ans… L’impact de ces nouvelles bactéries est
« comparable à l’effet cumulé de la grippe, de la tuberculose et du
virus du sida » sur la même période, résument les auteurs de l’étude.
Des solutions pour éviter ces cataclysmes annoncés
Et « cela coûtera davantage », en vies humaines et en
milliards d’euros dépensés par les systèmes de santé, « si les États
n’agissent pas pour régler ce problème », a expliqué à l’AFP Michele
Cecchini, spécialiste de santé publique à l’OCDE. L’organisme
international a publié le 7 novembre un rapport aux données explicites :
selon ses projections effectuées sur 33 de ses 36 pays membres, les
bactéries résistantes pourraient tuer 2,4 millions de personnes en
Europe, en Amérique du Nord et en Australie d’ici à 2050, et coûter
jusqu’à 3,5 milliards de dollars de dépenses annuelles dans chaque pays.
Selon ce rapport, 10 % des budgets santé de ces pays sont déjà absorbés
par le traitement des bactéries résistantes aux antibiotiques. Et tout
porte à croire qu’ailleurs le tableau est encore plus sombre. « Au
Brésil, en Indonésie et en Russie, entre 40 et 60 % des infections sont
déjà résistantes, contre 17 % en moyenne dans les pays de l’OCDE »,
pointe l’étude, qui nous promet aussi pour demain une résistance accrue
aux antibiotiques « prescrits en deuxième ou troisième intention »,
autrement dit, ceux de la dernière chance. Après, c’est toujours la
pandémie qui menace.
Heureusement, la plupart des rapports ne se limitent pas à
ces sombres prévisions et avancent des solutions pour éviter ces
cataclysmes annoncés. Outre la relance de la recherche pour produire de
nouveaux antibiotiques, appelée de ses vœux par l’OMS l’an dernier, des
« mesures simples », au coût modéré, pourraient s’avérer efficaces,
selon l’OCDE : « encourager une meilleure hygiène » (en incitant par
exemple à se laver les mains), « mettre fin à la surprescription
d’antibiotiques », ou encore généraliser les tests de diagnostic rapide
pour déterminer si une infection est virale (auquel cas les
antibiotiques sont inutiles) ou bactérienne. Des mesures évaluées à
seulement 2 dollars par personne et par an et qui permettraient d’éviter
trois quarts des décès.
L'Humanité, 15/11/2018. Alexandre Fache
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