samedi 29 décembre 2018

Les cinq fractures françaises

Le mouvement des gilets jaunes interroge les dynamiques inégalitaires qui travaillent la société française depuis plusieurs années.


Au départ, beaucoup craignaient le pire. Pensez donc : un mouve­ment qui naît hors syndicats et partis politiques, qui proteste contre une hausse des taxes sur l’essence, et d’où surgissent parfois des saillies sur les immigrés ou les « assistés ». Pourtant, après les premières journées de mobilisation, il a bien fallu se rendre à l’évidence : les gilets jaunes étaient l’un des mouvements sociaux les plus importants de ces dernières années – et sans conteste le plus improbable. Il a en effet maintenu mobilisées pendant plus d’un mois des catégories sociales parmi les plus éloignées du jeu politique traditionnel. Des femmes et des hommes souvent situés entre le haut des classes populaires et le bas des classes moyennes, venus remettre frontalement en question les dynamiques inégalitaires qui, depuis plusieurs années, travaillent la société française.

Celles qui touchent au revenu, tout d’abord, et qui les condamnent à se serrer toujours davantage la ceinture, notamment face au poids croissant des dépenses de logement. L’injustice fiscale, ravivée par la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). L’inégale répartition de l’effort climatique, qui pèse le moins sur ceux qui polluent le plus. Le stigmate périurbain, enfin, qui réduit la France des ronds-points à une zone de relégation et de repli sur soi, en oubliant le dynamisme économique et démographique de ces territoires.
Ces dynamiques inégalitaires ne datent pas de l’élection d’Emmanuel Macron ; mais la politique qu’il a menée jusqu’ici les a nourries bien plus qu’elle ne les a entravées. Et l’on peine à voir dans les mesures qu’il a fini par concéder de quoi convaincre les gilets jaunes, et avec eux l’ensemble des Français, du contraire.


I/ Le pouvoir d’achat des plus modestes en berne

 

Au fond, cela aurait pu ­exploser bien avant. Car depuis dix ans, les revenus du bas de la distribution sont en berne. Selon les données de l’Insee, le niveau de vie moyen des 40 % de Français les moins riches a diminué entre 2008 et 2016 (dernière année connue), cette diminution étant d’autant plus importante que les revenus sont faibles. Le chômage élevé, l’évolution du montant du Smic plus lente que celle de l’ensemble des salaires (un seul « coup de pouce » en 2012) et le développement des emplois à temps partiel, voire très partiel, expliquent en bonne partie cet appauvrissement.

 

(...)

Source :Alternatives économiques, 21/12/2018.

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