Dans Une histoire populaire de la France, ouvrage publié aux éditions Agone, l’historien et directeur d’études à l’Ehess, spécialiste et pionnier de l’histoire de l’immigration en France, dresse un portrait vivant et réflexif des luttes constituantes du peuple français depuis la fin de la guerre de Cent Ans jusqu’à aujourd’hui.
Au lendemain de l’arrivée au pouvoir d’un fasciste assumé au Brésil et dans l’ambiance actuelle de la montée des démagogues d’extrême droite aux États-Unis, en Europe et en France, notre situation historique semble se dramatiser de manière inquiétante. Dans le faisceau des événements économiques de 2008 comme dans celui de 1929, l’histoire est-elle en train de se répéter ?
Gérard Noiriel J’ai insisté peut-être un petit peu plus
que je ne l’aurais fait dans un autre contexte sur Marx et sur la
question des classes et de la lutte des classes. On voit bien
aujourd’hui, même à l’intérieur du monde intellectuel, comment les
logiques identitaires ont pris le dessus sur les questions économiques
et sociales. Le but de ce livre, c’est de remettre l’accent,
effectivement, sur cette dimension. Comme vous le suggérez, on voit bien
que des causes économiques, la fuite en avant du capitalisme financier,
ont des effets politiques et que nous sommes engagés dans un processus
qui peut nous rappeler effectivement les années 1930, notamment à
l’échelle mondiale. Il faut toujours avoir une vision mondiale des
choses, car s’il y avait des violences mondiales, elles nous
affecteraient aussi. Nous ne sommes pas à l’abri. Cela dit, dans le
cadre actuel, si on se place uniquement au niveau européen, on voit bien
que les mécanismes de régulation du capitalisme qui n’existaient pas
encore dans les années 1930 (ce qui explique les dérives qui ont
débouché sur la Seconde Guerre mondiale) permettent d’éviter la guerre,
mais pérennisent la crise.
En quel sens avez-vous voulu écrire une histoire « populaire » de la France ?
Gérard Noiriel Le premier point est que je ne confonds pas
le « populaire » et les « classes populaires ». C’est, je pense, un
point de mon livre qui me différencie de ce que Michelle
Zancarini-Fournel avait écrit dans les Luttes et les rêves sous-titrés
« une histoire populaire de la France », il y a deux ans. Pour elle,
c’est plutôt d’une histoire des classes populaires qu’il s’agit. Du fait
même qu’elle a publié ce livre, cela m’a dispensé d’un certain nombre
de développements. Ce qui me distingue, c’est aussi une démarche qui est
celle du socio-historien. Pour moi, le « populaire » est un rapport
social qui lie les dominés et les dominants. C’est un point très
important. Je peux en donner une illustration en prenant, par exemple,
la définition même que les classes populaires se donnent d’elles-mêmes.
Cette définition, elles ne l’inventent pas. Elle se produit toujours
dans une dialectique par rapport au regard que portent sur elles les
classes dominantes. Dans mon livre, j’ai voulu montrer cette dialectique
qui, je dirais, est pour moi une sorte d’adaptation du concept de lutte
de classe qu’on pourrait trouver chez Marx, sauf que j’ai intégré
beaucoup de travaux qui ont été faits depuis Marx. Je pense aussi que le
concept de domination est plus puissant que celui que Marx a analysé
comme rapport de classes économiques. Cela dit, au niveau du schéma,
c’est cela. Il y a une dialectique. L’identité des dominés est
construite en bonne partie par le regard des dominants, mais est
appropriée et transformée dans leurs luttes, ce qui contribue à modifier
le regard que les dominants portent eux-mêmes sur les classes dominées.
(...)
Source : L'Humanité, 07/12/2018.
Article intégral en ligne : https://www.humanite.fr
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