Sylvain Louvet a enquêté sur l’aide sociale à l’enfance. Son film, diffusé ce soir sur France 3, accuse la société de maltraitance envers les plus faibles. Entretien.
C’est
un film dont on ne ressort pas indemne. Avec Enfants placés, les
sacrifiés de la République (1), Sylvain Louvet, au terme de dix mois
d’enquête, dresse un constat accablant sur la gestion des mineurs sans
famille. Dans les maisons d’enfants, dans les familles d’accueil, il
constate avec effroi, en partant du cas du foyer d’urgence d’Eysines, en
Gironde, que les enfants abandonnés n’intéressent pas grand monde. Il
fait état de violences à peine soutenables, d’un personnel dépassé, d’un
État et de départements qui n’ont aucun contrôle sur les structures
qu’ils gèrent. Entretien.
Le constat que vous dressez sur l’aide sociale à l’enfance est accablant. C’est un film uniquement à charge ?
Sylvain Louvet
Un quart des SDF et 40 % des mineurs
SDF, soit, en gros, la moitié des jeunes qui sont à la rue, viennent de
l’aide sociale à l’enfance. La Protection judiciaire de la jeunesse m’a
donné un autre chiffre effarant : 30 % des enfants délinquants sont des
enfants placés. Et ce chiffre pourrait augmenter, parce que, faute de
moyens, les départements signent de moins en moins de contrats jeunes
majeurs, soit un dispositif qui court jusqu’à 21 ans. Les enfants se
retrouvent de plus en plus souvent, à 18 ans, avec leur valise sous le
bras, à devoir se débrouiller seuls. Cette enquête est partie de la
lettre de huit éducateurs du foyer d’urgence d’Eysines (Gironde), qui
faisait état de faits très graves de violences et de viols. J’ai été
très surpris, au fur et à mesure de l’investigation, de constater qu’une
grande majorité des témoignages d’éducateurs sur le terrain, d’enfants
placés ou d’anciens enfants placés, évoquaient une violence de plus en
plus importante, l’accueil d’enfants avec de graves troubles du
comportement, parfois des pathologies psychiatriques lourdes. Ce n’est
donc pas un sujet à charge. Les dysfonctionnements en protection de
l’enfance ne sont pas anecdotiques et ne tiennent pas à un seul ressort.
Ils reflètent ce qui se passe dans le médico-social : l’engorgement, le
manque de places dans les hôpitaux psychiatriques, le turnover des
équipes, le manque de moyens et le fait que certains départements
ferment les yeux sur la situation de ces enfants.
On découvre que les encadrants n’ont parfois pas de
formation, que les autorités compétentes ne sont pas regardantes sur les
violences commises dans les foyers par des adultes comme par des
enfants sur leurs pairs, ni même sur le profil des familles d’accueil.
En gros, ces enfants sont laissés à l’abandon ?
Sylvain Louvet
Ce que j’ai ressenti, c’est que
l’accueil en foyer, c’est un second abandon, une double peine. Des
enfants sans problème et accueillis de manière transitoire peuvent se
retrouver mélangés avec d’autres qui ont de graves troubles du
comportement, qui ont subi des viols. Les éducateurs réclament surtout
des structures d’accueil en psychiatrie, pour les cas les plus lourds,
qui n’ont rien à faire en foyer d’urgence classique. C’est quand même
incroyable que 300 000 enfants, chaque année, bénéficient d’une mesure
de protection et que les départements ne se penchent pas sur ce dossier
réellement en se disant : est-ce que vraiment les structures telles
qu’on les a pensées et les moyens qu’on a mis dedans suffisent et sont
adéquats ? Les travailleurs sociaux lancent des bouteilles à la mer qui
ne sont jamais récupérées.
Ce qui veut dire que les départements s’en lavent les mains ? Ou qu’ils sont dépassés et impuissants ?
Sylvain Louvet
La protection de l’enfance, c’est le
deuxième plus gros budget en matière de protection sociale, dans un
département. Mais certains responsables m’ont dit : « On vote les
budgets et les moyens alloués à la protection de l’enfance en cinq
minutes dans les réunions, alors qu’on passe une demi-journée à parler
des routes départementales. » C’est un dossier qui ne rapporte pas
grand-chose politiquement, contrairement aux Ehpad. Dans les
départements, cette question de la protection de l’enfance, c’est le
dossier en bas de la pile. Emmanuelle Ajon, vice-présidente du
département en Gironde chargée de l’enfance, est passée plusieurs fois à
Eysines, et avait connaissance de la lettre ouverte des salariés. Mais,
parmi les huit signataires de cette lettre, trois ont été convoqués en
conseil de discipline et sanctionnés. En entretien, elle m’a dit que le
conseil général avait dégagé plusieurs millions d’euros, des grillages
entre les pavillons, et embauché un certain nombre de cadres, plutôt que
d’augmenter les moyens sur le terrain des travailleurs sociaux.
(1) France 3, Pièces à conviction, mercredi 16 janvier, 21 heures.
Replay disponible jusqu'au 15/02/2019 : https://www.france.tv
Entretien réalisé par Caroline Constant
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire