lundi 24 novembre 2014

Contre les violences faites aux femmes : l’urgence de mobiliser les médecins

Longtemps, les médecins, comme toute la société, n’ont rien voulu connaître des femmes violées, agressées sexuellement, battues. Ce déni recule et les praticiens sont sensibilisés à cette réalité dès leurs études. C’est encore insuffisant pour prendre en charge celles qui souvent se taisent et se refusent à porter plainte. Comment alors détecter les violences et secourir les victimes ? Des praticiens ont élaboré un protocole. qu’ils ont remis à Marisol Touraine, ministre de la Santé. Elle devrait, le 25 novembre, Journée contre les violences faites aux femmes, annoncer des mesures pour aider les praticiens à diagnostiquer et à accompagner.


Il suffit parfois d’une question posée par le généraliste, l’urgentiste, le gynécologue. « Madame, avez-vous subi des violences ? », « Les rapports sexuels sont-ils consentis ? »... Dans les consultations, ils sont de plus en plus nombreux à les formuler. Certes le corps médical revient de loin. Pendant longtemps ceux qui tentaient de le sensibiliser se voyaient répondre : « Je ne suis pas policier », « C’est un problème familial ». « Il y a 40 ans, on nous traitait de féministes excitées », explique Emmanuelle Piet, médecin et présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV). Un peu à l’image de la société. Ainsi, dans les 23 manuels de gynécologie, seuls 6 mentionnent – en une ou deux lignes – une hypothèse de violences en lien avec la grossesse ! Pourtant petit à petit les choses avancent. Deux questions ayant trait aux violences faites aux femmes ont été ajoutées en 2014 à l’internat, la 7e année d’étude. « Ça ne paraît rien, mais cela oblige à bosser la question », se réjouit Emmanuelle Piet. Dans les facultés de médecine aussi, des modules ont vu le jour.

EN FINIR AVEC LA HONTE


Gilles Lazimi, généraliste au Centre de santé municipal de Romainville (93), et membre du Haut Conseil à l’égalité pour les femmes et les hommes, pose des questions depuis longtemps. En 2004, dans le cadre d’une campagne, des femmes victimes de violences s’affichaient sur le mur du centre, « une patiente a éclaté en sanglots. Ça faisait pourtant des années que je la suivais », raconte le médecin. « Depuis, je pose systématiquement la question. Ça fait partie de l’interrogatoire médical. » Dans tous les cas, les patientes sont soulagées : « C’est une libération de la parole pour des femmes qui ont été pendant des années sous la coupe d’un agresseur. Ça permet de faire changer la honte de camp, en leur disant “je vous crois, il n’a pas le droit” » (voir témoignage). Depuis des années, les associations comme la MIPROF (la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains) se battent pour ce questionnement systématique afin de détect erces violences.





PHOTO REMY GABALDA/AFP
LES CONSULTATIONS MÉDICO- JUDICIAIRES, SEULES APTES À RECUEILLIR DES PREUVES , NE SONT QUE 48 SUR LE TERRITOIRE.

En 2013, 121 femmes ont été tuées par les coups de leur conjoint ou exconjoint. 90 000 femmes adultes sont violées chaque année. 201 000 sont victimes de violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur conjoint. Et ce dans tous les milieux sociaux. Mais « il y a des moments clés comme la grossesse », rappelle Emmanuelle Piet. Dans 40 % des cas, les violences commencent pendant celle-ci. « Une femme va voir une vingtaine de fois un professionnel de santé pendant ces 9 mois, ça laisse le temps de poser quelques questions », continue-t-elle. Les violences faites aux femmes sont un enjeu de santé publique. « On estime le coût à 2,5 milliards d’euros par an. » « Elles amplifient toutes les pathologies. À long terme, des syndromes de stress post-traumatique, tentatives de suicide, dépressions, hospitalisations... », explique la médecin. Pour lutter, Annie Soussy, responsable du service de consultation médico-judiciaire de Créteil, Marie Fontanel, directrice adjointe de l’ARS Alsace, et Patrick Pelloux, urgentiste au SAMU de Paris, ont planché sur un protocole national, rendu à Marisol Touraine, la ministre de la Santé, le 5 novembre. « Avec un maître mot : on ne perd plus une seule victime dans les méandres médico-psycho-administratif. En 2013, à Paris, 500 femmes se sont présentées aux consultations médico-judiciaires (CMJ), ça veut dire à peine 20 % des victimes de viol », dénonce Patrick Pelloux. Parmi les recommandations : les questions systématiques aux patientes, la délivrance de certificats médicaux plus descriptifs, et une prise en charge multidimensionnelle dans les services d’urgences (notamment recueil des vêtements dans des conditions qui font que la recherche ADN sera possible). « Aujourd’hui, nous ne savons pas trop quoi faire. Nous voulons pouvoir envoyer le SAMU, faire les prélèvements nécessaires, prévenir la police et l’amener aux urgences ou aux CMJ pour les examens. L’idée n’est pas d’être des shérifs, mais de bien faire notre travail pour aider la patiente. Mais cela va demander une modification du Code de procédure pénale », explique Patrick Pelloux. Car, jusquelà, seules les CMJ sont habilitées à recueillir les preuves après réquisition de la justice. « Or il n’y en a que 48 en France. »

TRAVAILLER EN RÉSEAU


« La préfecture de police et la justice nous ont répondu qu’elles craignaient d’être débordées si la majorité des victimes se mettaient à porter plainte », continue l’urgentiste. Aujourd’hui, seuls 11 % des viols ou tentatives font l’objet d’une plainte. Alors : « il s’agit surtout d’une ambition politique. Il faut changer le regard de la société. Je ne vois pas pourquoi on a réussi à faire un réseau infarctus et pas pour les femmes victimes de violence. Justice, police, soignants et associations de victimes doivent travailler ensemble. » Le 25 novembre, Marisol Touraine et Pascale Boistard, la secrétaire d’État aux Droits des femmes, devraient annoncer des mesures. « Qu’on ne nous dise pas que ce n’est pas faisable. Il y en a marre de la double peine pour ces femmes », prévient Patrick Pelloux.


Pia de Quatrebarbes, Vendredi, 21 Novembre, 2014

http://www.humanite.fr/contre-les-violences-faites-aux-femmes-lurgence-de-mobiliser-les-medecins-558321

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