dimanche 16 novembre 2014

La stérilisation de masse des femmes, « méthode dominante de contraception » en Inde

Le bilan risque d’être encore plus lourd : douze femmes sont décédées dans l’un des Etats les plus pauvres d’Inde, au Chhattisgarh, après avoir subi des opérations de stérilisation. Une vingtaine d’autres sont toujours entre la vie et la mort. En tout, 83 opérations avaient été effectuées en cinq ou six heures par le même médecin, samedi 8 novembre, dans une clinique pourtant officiellement fermée depuis un an.


De telles opérations de stérilisation à la chaîne, parfois dans des champs, des bâtiments abandonnés ou des écoles, sont nombreuses en Inde. Selon les derniers chiffres disponibles, près de 4,6 millions de femmes ont été stérilisées en 2012. La plupart d’entre elles sont pauvres, illettrées et vivent dans les campagnes.

Des Indiennes attendent le tour lors d'une campagne de stérilisation de masse, à Malda, en février 2013.
Des femmes en attente de stérilisation, le 5 février 2013 à Malda, en Inde. | AFP/STRDEL

En 2012, l’ONG Human Rights Law Network (HRLN) découvre dans le Bihar, un Etat du nord de l’Inde, que près de soixante femmes ont été opérées dans une école sans électricité, ni eau, et à l’aide de lampes torches. Les femmes récupéraient de l’opération à même le sol. C’est en opérant l’une d’entre elles qu’un médecin découvrit qu’elle était enceinte, alors que chaque patiente doit en principe subir un test de grossesse avant l’opération. En cas de problème médical ou de décès, les indemnités auxquelles ont droit les patientes ne sont versées que très rarement. « En enquêtant dans les autres Etats, nous avons réalisé que la situation est à peu près la même partout. Les droits des femmes ne sont pas respectés, elles ne sont pas informées sur les autres méthodes de contraception et les conditions sanitaires sont déplorables », témoigne Kerry McBroom, de HRLN.

Julien Bouissou (New Delhi, correspondance)

Article publié sur le site internet du journal Le Monde le 11 novembre 2014.

Primes à la stérilisation

Plutôt que de former des auxiliaires de santé, d’informer les jeunes mères, les autorités indiennes préfèrent stériliser en masse. Les chiffres sont là pour le prouver. Au Chhattisgarh, la stérilisation représentait 86,5 % des cas de contraception en 2012 et dans les autres Etats, ce taux était rarement inférieur à 70 %. Les opérations de vasectomie, à savoir de stérilisation sur les hommes, ne dépassent pas les 2 %. « La stérilisation des femmes est la méthode dominante de contraception et celle des hommes est la moins courante », confirme l’« enquête annuelle sur la santé », publiée en 2013. Les Indiennes subissent la pression de leurs maris et de l’Etat pour se faire opérer.
Depuis la nouvelle politique de contrôle des naissances formulée en 2012, la course aux chiffres est officiellement bannie. « Mais sur le terrain, toutes les auxiliaires de santé ont des objectifs à remplir. Elles obtiennent même des primes au résultat, tout comme les médecins », témoigne Kerry McBroom. Dans ces opérations de stérilisation à la chaîne, il faut faire vite et surtout dépenser le moins d’argent possible. Une enquête publiée par l’agence Bloomberg en 2013 décrit des conditions sanitaires effroyables : instruments rouillés et nettoyés à l’eau chaude entre deux opérations, anesthésiants sous-dosés pour faire des économies. Les femmes doivent ensuite récupérer de leurs opérations allongées sur le sol dans des salles où dorment des chiens. Un numéro est tatoué sur leurs bras et les tests d’anémie sont effectués avec la même aiguille sur chacune d’elle. L’an dernier, une chaîne de télévision a diffusé des images montrant des femmes laissées inconscientes dans un champ à la suite d’une opération de stérilisation de masse. Au Tamil Nadu, où le système de soins est pourtant l’un des meilleurs du pays, une patiente sur 1 000 succomberait à ces opérations. Les ONG estiment que le nombre de victimes est en réalité bien plus élevé.
De nombreuses règles existent pourtant. Les femmes doivent être informées des conséquences de l’opération. Les médecins ne doivent pas pratiquer plus de 50 opérations par jour. Les salles d’opération doivent être suffisamment éclairées, ventilées. Mais personne ne va vérifier sur le terrain que ces règles sont respectées.
Si les autorités Indiennes ne manquent pas d’imagination pour attirer les femmes. Dans les régions les plus récalcitrantes, des voitures sont promises aux candidates à la stérilisation, et dans les plus pauvres, les moins alphabétisées, les primes de 10 à 20 euros suffisent. Au Chhattisgarh, les douze femmes mortes devaient recevoir une prime de 19 euros. Certaines familles se voient refuser des prestations sociales si elles refusent l’opération. L’Institut international des sciences de la population, basé à Bombay, a ainsi révélé en 2012 que les jeunes couples dont l’épouse subissait une stérilisation étaient prioritaires pour recevoir certaines aides.

L’Inde persiste dans cette politique de stérilisation sans consacrer les mêmes efforts à combattre les autres causes du taux élevé de natalité, comme la mortalité infantile, les mariages précoces, la préférence pour le garçon à la naissance, et l’absence de sécurité sociale ou d’un système de retraite pour les personnes âgées. Entre 2001 et 2011, la population indienne, de 1,25 milliard d’habitants, a augmenté de 17,6 %. Elle devrait dépasser la population chinoise d’ici vingt ans. 

Julien Bouissou (New Delhi, correspondance)

Article publié sur le site internet du journal Le Monde le 11 novembre 2014. 

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