dimanche 23 novembre 2014

Les urgences : le fossé entre les chiffres et la réalité

Alors que la Drees présentait mardi 18 novembre les premiers résultats d'une enquête nationale sur la situation dans les services d'urgences, les médecins urgentistes de l'hôpital de Carcassonne (Aude) se préparent à rentrer en grève. Installés dans un nouveau bâtiment depuis six mois, leur activité a bondi de 25 % mais les moyens humains n'ont pas suivi.


La dernière étude nationale sur les services d'urgences datait de 2002. Hier, la Drees (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques) a rendu public les premier résultats d'une enquête réalisée le 11 juin 2013 auprès de l'ensemble des structures hospitalières d'urgence. Contrairement à la première étude qui ne portait que sur 150 services, celle-ci a pris en compte l'ensemble des structures hospitalières d'urgences (publiques et privées) soit 736 points d'accueil d'urgence. « L'objectif était de décrire la diversité des organisations et des fonctionnements de ces structures (comportement des patients, délais de prise en charge, difficultés éventuelles rencontrées par les équipes), expose Gwennaëlle Brilhault, de la Drees. Et de poursuivre: Depuis 2002, la situation a évolué, notamment du point de vue réglementaire (temps de travail des médecins, loi HPST, financements) et ce, dans un contexte de recours toujours croissant aux urgences. » De fait, on dénombrait 18,7 millions de passages aux urgences en 2012, contre 12,7 millions en 2000. Une hausse à l'origine de nombreux problèmes dans les services d'urgences ces dernières années (délais d'attente qui explosent, insuffisance de personnel, etc.).


On apprend ainsi que 78 % des services d'urgences dépendent d'un établissement public, 6 % du privé non lucratif et 16 % du privé à but lucratif. « Il y a au moins un point d'accueil par département. Dans les dix départements les mieux dotés, on est à 14 points d'accueil contre deux dans les dix moins bien équipés. Ainsi, l'Orne et l'Yonne sont pourvus de 2,4 points d'accueil pour 100 000 habitants », présente Layla Ricroch, de la Drees. Côté effectif, l'enquête montre qu'il y a entre « trois et quatre fois plus d'ETP (équivalent temps plein) dans les services qui accueillent plus de 40 patients par jour ». C'est aussi dans ces établissements, essentiellement des CHU, que l'équipement est le plus complet (scanner, IRM, plateau technique, biologie etc.). Selon la Drees, les délais d'attente semblent plutôt bons. « Les patients sont évalués rapidement, estime le Dr Albert Vuagnat, conseiller médical au bureau des établissements de santé, à la Drees, évoquant une « médiane de 4 minutes après l'enregistrement. La prise en charge et l'administration des soins interviennent en moyenne 30 minutes après l'arrivée », énumère le médecin, rappelant que « la SFMU (Société française de médecine d'urgence) recommande que le délai avant évaluation ne dépasse par 30 minutes ». Cependant, il reconnait une « hausse de l'attente » durant les heures les « plus encombrées » (après-midi et soirée), délai qui varie aussi « selon les effectifs ». Un doux euphémisme... D'autant que cette étude tombe alors que, comme chaque année, des services d'urgence sont à l'agonie. 


Photo Martin Bureau/AFP

 Après les urgences du CHU de Limoges, où il y a quelques jours, plusieurs médecins ont démissionné de leurs fonctions administratives, c'est au tour des urgentistes de l'hôpital de Carcassonne de tirer la sonnette d'alarme. « L'accueil aux urgences se fait avec trois médecins, dont deux dédiés au Smur, alors que l'activité a augmenté de 25 % sur les six derniers mois. Quand ils sortent tous les deux de façon concomitante, ce qui arrive tous les jours, l'autre médecin reste seul. C'était inconfortable avant, c'est devenu insécuritaire. Les équipes sont épuisées, en burn-out, incapables de faire leur travail. Nous mettons les patients en danger et nous aussi », dénonce le docteur Elodie Paul, déléguée régionale de l'Amuf (Association des médecins urgentistes de France). L'équipe médicale réclame une ligne médicale de garde supplémentaire, soit 2,5 ETP supplémentaire. « Pour assurer le renfort d'un médecin à 12 heures au quotidien, il faut deux médecins et demi », explique Elodie Paul.
Faute de réponse satisfaisante, les urgentistes, soutenus par les syndicats de personnels, sont en grève à partir de ce mercredi 19 novembre. Ils savent qu'ils sont d'ores et déjà tous assignés. « C'est bien la preuve que nous sommes en effectif minimal, lâche le docteur Paul, qui espère beaucoup de ce mouvement. « C'est notre seul moyen pour sortir de cette crise et recentrer notre activité sur les soins. »


Alexandra Chaignon, L'Humanité du 18 novembre 2014.

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