dimanche 2 novembre 2014

La santé précaire des jeunes de banlieue

Par manque d'information ou d'argent, de plus en plus d'ados et de jeunes adultes ne se soignent pas


L' intérieur ressemble à n'importe quel autre cabinet médical. Un espace d'attente dessert une salle d'examen. A l'extérieur, au bas des gradins du gymnase Auguste-Delaune à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), seule une modeste étiquette signale le centre médico-sportif. C'est cette porte que les ados en sueur, au sortir de leur cours de judo ou d'un match de basket, poussent pour faire soigner un bobo ou obtenir un certificat médical. Ici, pas besoin de rendez-vous ni de débourser un centime. Une aubaine pour ces jeunes, car, comme pour leurs congénères des quartiers populaires, se soigner ne va pas de soi.
D'abord parce qu'ils se sentent rarement malades : 84,4  % des 18-25 ans se déclarent en bon ou très bon état de santé, selon les enquêtes santé et protection sociale de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé. A Saint-Denis, le docteur Anne Louise Avronsart déplore ce qu'elle juge comme un excès d'optimisme : " Beaucoup d'entre eux n'ont pas vu de médecin depuis la petite enfance et ne se rendent pas compte de leurs pathologies ", explique la jeune médecin.


Renoncer à se soigner ou à consulter est une attitude choisie par de plus en plus de jeunes de banlieue. Selon une enquête menée en Rhône-Alpes par la Mission régionale d'information sur l'exclusion auprès des jeunes des ZUS de Roanne et de Romans  -  Bourg-de-Péage, 41  % des jeunes déclarent renoncer à se faire soigner : 25  % parce que " ce n'est pas assez grave ", 20  % à cause des difficultés à obtenir un rendez-vous, 15  % par peur des médecins ou par manque de moyens.
Les vaccins ne sont pas à jourLes Cahiers du DSU, publication du Centre de ressources et d'échanges pour le développement social et urbain de la ville de Rhône-Alpes, ont rappelé, dans un numéro spécial, publié en octobre, que l'obésité et l'état de santé dentaire étaient les deux indicateurs qui montraient le plus de disparités entre les jeunes des quartiers et ceux vivant hors des zones urbaines sensibles. Cette disparité grandissante porte également sur les conditions de vie plus précaires, l'absence de couverture maladie complémentaire, l'accès à des structures médicales et à l'information.
Les jeunes des cités ont du mal à franchir le seuil d'un cabinet de médecin. Par manque de moyens, la médecine scolaire a cessé depuis longtemps de suivre ces cohortes d'adolescents. Les parents ne les emmènent voir le médecin que quand ils sont vraiment malades. Sans visites régulières, les problèmes de croissance, les scolioses sont donc rarement détectés, et les vaccins, eux, ne sont pas à jour.
" Trouver des portes d'entrée sur les lieux qu'ils fréquentent, c'est essentiel pour les atteindre ", insiste Mme  Avronsart. Car ce qu'elle voit en soignant ces ados au centre médico-sportif, comme lors de ses consultations gratuites en centre de santé, l'inquiète. La médecin souligne ainsi la progression du surpoids dans cette jeunesse de banlieue. " A cause de la sédentarité et de mauvaises habitudes alimentaires, on la voit augmenter partout à Saint-Denis. "
Linda William, diététicienne salariée de la ville, fait le même constat. " J'ai été alertée par les infirmiers scolaires et les professeurs de sport : il faut les suivre ", relate-t-elle. Lamine Camara, qui dirige l'association Sport et santé, explique que cette tendance est particulièrement tangible depuis dix ans. " Il n'est pas rare de trouver, dans une classe de lycée professionnel, dix élèves en surpoids. On sait que ces mômes vont avoir des problèmes de santé d'ici quelques années ", remarque-t-il.
" Zone inconnue "La montée des addictions, particulièrement au haschisch, est l'autre point noir. Tout comme l'absorption régulière de boissons énergisantes, en particulier chez les jeunes sportifs. Alertée par cette carence en soins et en prévention, la ville de Saint-Denis a ouvert, au centre de santé municipal, des consultations gratuites pour les adolescents et multiplie les interventions de diététiciennes en milieu scolaire.
Ces carences sont assez mal connues des politiques comme des professionnels de la politique de la ville. Il existe beaucoup de dispositifs de santé pour la  jeunesse, mais peu de mesures spécifiques pour les jeunes des quartiers. Et, surtout, peu de lieux de santé pensés pour eux. Les initiatives comme celle de Saint-Denis ou de Valence – qui ont mis en place un système santé jeunes avec des espaces leur étant réservés et des adultes-relais spécialisés – sont rares.
" C'est une thématique très peu documentée, un blanc, une zone inconnue ", reconnaît Frédérique Bourgeois, directrice adjointe des Cahiers du DSU, qui plaide pour une prise de conscience de ces inégalités dans les prochains contrats de ville qui doivent planifier les investissements et interventions des collectivités locales comme de l'Etat dans les quartiers.
Sylvia Zappi
© Le Monde 2/11/2014

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