Ici, pas de combinaison étanche ni de masque de protection. Au siège de l'Organisation mondiale de la santé, à Genève, c'est avec des études épidémiologiques, des courbes et des analyses que se mène la lutte contre la fièvre hémorragique. Médecins, statisticiens, anthropologues... suivent en temps réel la progression du virus. Et coordonnent la riposte. La coordination, c'est justement ce qui a manqué au sein de l'OMS au début de l'épidémie, lui laissant le temps d'exploser. Une erreur que l'institution tente aujourd'hui de rattraper.
Le siège de l'OMS à Genève. | M Le magazine du Monde |
A 54 ans, le docteur Formenty est le « Monsieur virus Ebola » de l'OMS. « Un maniaque », selon ses collègues, qui passe des heures à travailler chaque mot et chaque dessin des documents qu'il envoie aux personnels de santé sur place afin qu'ils soient le plus compréhensibles possible. Procédures d'isolement et d'enterrement, mesures de protection, détail des soins… « Inutile d'envoyer des recommandations en jargon médico-technique pour experts internationaux, j'écris pour ceux qui sont en première ligne », explique-t-il.
UN RETARD DE QUATRE MOIS
Cela fait presque vingt ans que cet ancien vétérinaire aux airs de gentleman farmer traque Ebola en Afrique. Originaire de Perpignan, il a un jour tout plaqué pour diriger un laboratoire de virologie en Côte d'Ivoire et a découvert, en 1996, une nouvelle souche du virus chez les chimpanzés. Il a ensuite passé cinq ans dans les forêts du pays à rechercher le réservoir. En vain. Même s'il a pu établir un lien avec les chauves-souris. Depuis, il est envoyé sur le terrain dès que la fièvre hémorragique, découverte en 1976, refait surface.
Des apparitions « surprises » - « Le monde se croyait débarrassé des maladies infectieuses », dit-il - mais relativement « modestes » jusqu'à présent : quelques dizaines de personnes contaminées dans les années 1990 en République démocratique du Congo (ex-Zaïre) et au Gabon, puis au cours de la décennie suivante au Congo, au Soudan et en Ouganda. Et surtout, rapidement contenues. « Ce qui, à chaque fois, a demandé beaucoup de moyens, d'organisation et de coordination, souligne-t-il. C'est peut-être ce qui a fait défaut cette fois-ci. » C'est même certain.
Il a fallu attendre plus de quatre mois pour que l'OMS décrète l'état d'urgence. Tous les matins, à 9 h 30, le Dr Formenty se rend au sous-sol du bâtiment principal, dans la « SHOC room » (Centre stratégique d'opérations sanitaires), la salle de crise de l'OMS, « les yeux et les oreilles » de la riposte mondiale de l'institution aux épidémies et aux crises sanitaires. A 6 000 kilomètres des foyers infectieux et de la panique, c'est ici, dans une salle de réunion d'une surprenante banalité que se joue, dans le calme, la guerre contre Ebola. Ici, dans une pièce sans fenêtre où l'on ne pénètre qu'en montrant patte blanche, que chaque jour, depuis fin mars, les équipes de l'OMS font le point sur la situation et coordonnent les efforts pour stopper la contagion.
Si, au départ, ils n'étaient qu'une dizaine à se rassembler sous la houlette du Dr Richard Brennan, directeur du département Gestion des risques associés aux urgences et interventions humanitaires, depuis le mois d'août, ils sont environ quarante. Epidémiologistes, scientifiques, informaticiens, médecins, logisticiens, anthropologues (spécialistes du langage et des cultures locales) et, parfois, représentants d'organisations humanitaires... Tous scrutent les cinq écrans projetant les courbes de progression (en Sierra Leone) ou de décrue (au Liberia). Au bout du fil, le représentant de l'OMS au Ghana, le plus proche des pays contaminés, fait part de la situation sur place.
La mine grave, les experts épluchent et analysent les données (nombre de cas suspects et confirmés, de morts), recoupent les informations avec les résultats d'analyses des laboratoires et font le point sur les actions en cours. Au programme : amélioration du système de traçage des « contacts » (où le malade est-il allé ? Avec qui a-t-il été en relation ?), nouvelles recommandations concernant l'équipement de protection individuelle, ouvertures de centres de traitement, etc.
Même au sein de l'OMS, le mot Ebola fait peur. « Il a fallu faire circuler une note interne pour expliquer à tout le personnel que tant que les personnes ne présentent pas de symptômes, elles ne sont pas contagieuses », raconte le Dr Briand. La semaine précédente, elle a dû rassurer les écoles internationales de Genève qui envisageaient d'interdire aux enfants des salariés de l'OMS revenant de mission l'accès à leurs établissements. « Il faut trouver les bons mots : si on leur dit ''vous êtes ridicules'', ça ne marche pas », souligne-t-elle.
LE PLAN DE BATAILLE
Depuis le 3 novembre, le bureau du Dr Briand est installé au coeur d'un plateau situé au premier étage du bâtiment principal. C'est ici que sont désormais réunis, dans une ambiance très studieuse, tous les acteurs de l'OMS luttant contre le virus Ebola. Soit une centaine de personnes réparties par pôle d'activité : cartographie, recueil des données, soutien informatique, communication, engagement social (anthropologues en relation notamment avec les leaders religieux locaux, chrétiens et musulmans), science du virus, planning, finances, équipement et vaccins. Ces experts sont en liaison permanente avec environ 200 employés sur le terrain.
(...)
Par Louise Couvelaire, le 16 novembre 2014.
Lire la suite sur le site internet du journal Le Monde : http://abonnes.lemonde.fr/m-actu/article/2014/11/14/dans-le-qg-de-la-guerre-anti-ebola_4522917_4497186.html
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