dimanche 16 novembre 2014

Visite guidée dans le QG de la guerre anti-Ebola

Ici, pas de combinaison étanche ni de masque de protection. Au siège de l'Organisation mondiale de la santé, à Genève, c'est avec des études épidémiologiques, des courbes et des analyses que se mène la lutte contre la fièvre hémorragique. Médecins, statisticiens, anthropologues... suivent en temps réel la progression du virus. Et coordonnent la riposte. La coordination, c'est justement ce qui a manqué au sein de l'OMS au début de l'épidémie, lui laissant le temps d'exploser. Une erreur que l'institution tente aujourd'hui de rattraper.

 

Le siège de l'OMS à Genève.
Le siège de l'OMS à Genève. | M Le magazine du Monde


C'est là, dans un petit bureau de rien du tout, perdu dans un couloir sans âme de l'un des dix bâtiments du siège de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), à Genève, que le Dr Pierre Formenty conserve ses cahiers rouges. Vingt-deux en tout. Tous consacrés au virus Ebola, dont cinq noircis de notes sur l'épidémie qui frappe cette année l'Afrique de l'Ouest et a déjà fait environ 5 000 morts. C'est là, depuis le 14 mars, date du premier courriel reçu des équipes de l'OMS en Guinée révélant un cas « suspect », qu'il a consigné jour après jour ses interrogations, puis ses certitudes. Là qu'il a écrit pour la première fois « Ebola ? ». Avant de noter, quelques pages plus loin « Ebola ». C'était le 21 mars. Un mois plus tard, il s'envolait pour Conakry avant de se rendre à Guéckédou, à la frontière de la Sierra Leone et du Liberia, où il a enquêté pendant trois semaines sur les premiers cas avérés et la chaîne de transmission.
A 54 ans, le docteur Formenty est le « Monsieur virus Ebola » de l'OMS. « Un maniaque », selon ses collègues, qui passe des heures à travailler chaque mot et chaque dessin des documents qu'il envoie aux personnels de santé sur place afin qu'ils soient le plus compréhensibles possible. Procédures d'isolement et d'enterrement, mesures de protection, détail des soins… « Inutile d'envoyer des recommandations en jargon médico-technique pour experts internationaux, j'écris pour ceux qui sont en première ligne », explique-t-il.

UN RETARD DE QUATRE MOIS

Cela fait presque vingt ans que cet ancien vétérinaire aux airs de gentleman farmer traque Ebola en Afrique. Originaire de Perpignan, il a un jour tout plaqué pour diriger un laboratoire de virologie en Côte d'Ivoire et a découvert, en 1996, une nouvelle souche du virus chez les chimpanzés. Il a ensuite passé cinq ans dans les forêts du pays à rechercher le réservoir. En vain. Même s'il a pu établir un lien avec les chauves-souris. Depuis, il est envoyé sur le terrain dès que la fièvre hémorragique, découverte en 1976, refait surface.

Des apparitions « surprises » - « Le monde se croyait débarrassé des maladies infectieuses », dit-il - mais relativement « modestes » jusqu'à présent : quelques dizaines de personnes contaminées dans les années 1990 en République démocratique du Congo (ex-Zaïre) et au Gabon, puis au cours de la décennie suivante au Congo, au Soudan et en Ouganda. Et surtout, rapidement contenues. « Ce qui, à chaque fois, a demandé beaucoup de moyens, d'organisation et de coordination, souligne-t-il. C'est peut-être ce qui a fait défaut cette fois-ci. » C'est même certain.
Il a fallu attendre plus de quatre mois pour que l'OMS décrète l'état d'urgence. Tous les matins, à 9 h 30, le Dr Formenty se rend au sous-sol du bâtiment principal, dans la « SHOC room » (Centre stratégique d'opérations sanitaires), la salle de crise de l'OMS, « les yeux et les oreilles » de la riposte mondiale de l'institution aux épidémies et aux crises sanitaires. A 6 000 kilomètres des foyers infectieux et de la panique, c'est ici, dans une salle de réunion d'une surprenante banalité que se joue, dans le calme, la guerre contre Ebola. Ici, dans une pièce sans fenêtre où l'on ne pénètre qu'en montrant patte blanche, que chaque jour, depuis fin mars, les équipes de l'OMS font le point sur la situation et coordonnent les efforts pour stopper la contagion.
Si, au départ, ils n'étaient qu'une dizaine à se rassembler sous la houlette du Dr Richard Brennan, directeur du département Gestion des risques associés aux urgences et interventions humanitaires, depuis le mois d'août, ils sont environ quarante. Epidémiologistes, scientifiques, informaticiens, médecins, logisticiens, anthropologues (spécialistes du langage et des cultures locales) et, parfois, représentants d'organisations humanitaires... Tous scrutent les cinq écrans projetant les courbes de progression (en Sierra Leone) ou de décrue (au Liberia). Au bout du fil, le représentant de l'OMS au Ghana, le plus proche des pays contaminés, fait part de la situation sur place.

La mine grave, les experts épluchent et analysent les données (nombre de cas suspects et confirmés, de morts), recoupent les informations avec les résultats d'analyses des laboratoires et font le point sur les actions en cours. Au programme : amélioration du système de traçage des « contacts » (où le malade est-il allé ? Avec qui a-t-il été en relation ?), nouvelles recommandations concernant l'équipement de protection individuelle, ouvertures de centres de traitement, etc.
L'équipe du Dr Brennan passe également en revue l'aide financière internationale. La France, qui a promis 20 millions d'euros, est citée. Ce matin-là, le Dr Sylvie Briand, 50 ans, directrice du département Pandémies et épidémies, détend l'atmosphère : « Il est important de préciser que les gens peuvent aller boire un café ensemble à la cafétéria et se parler sans risquer d'attraper Ebola !, dit-elle. Cela me fait penser à Harry Potter : quiconque prononce le mot tabou  "Voldemort" déclenche un puissant sortilège brisant instantanément la protection magique. C'est un peu pareil, comme si on ne pouvait pas parler du virus sans être immédiatement infecté. » L'intervention fait sourire, mais elle révèle l'ampleur de la crainte - parfois injustifiée - que suscite le virus.
Même au sein de l'OMS, le mot Ebola fait peur. « Il a fallu faire circuler une note interne pour expliquer à tout le personnel que tant que les personnes ne présentent pas de symptômes, elles ne sont pas contagieuses », raconte le Dr Briand. La semaine précédente, elle a dû rassurer les écoles internationales de Genève qui envisageaient d'interdire aux enfants des salariés de l'OMS revenant de mission l'accès à leurs établissements. « Il faut trouver les bons mots : si on leur dit ''vous êtes ridicules'', ça ne marche pas », souligne-t-elle.
 
LE PLAN DE BATAILLE

Depuis le 3 novembre, le bureau du Dr Briand est installé au coeur d'un plateau situé au premier étage du bâtiment principal. C'est ici que sont désormais réunis, dans une ambiance très studieuse, tous les acteurs de l'OMS luttant contre le virus Ebola. Soit une centaine de personnes réparties par pôle d'activité : cartographie, recueil des données, soutien informatique, communication, engagement social (anthropologues en relation notamment avec les leaders religieux locaux, chrétiens et musulmans), science du virus, planning, finances, équipement et vaccins. Ces experts sont en liaison permanente avec environ 200 employés sur le terrain.

(...)

Par

 Lire la suite sur le site internet du journal Le Monde : http://abonnes.lemonde.fr/m-actu/article/2014/11/14/dans-le-qg-de-la-guerre-anti-ebola_4522917_4497186.html

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