dimanche 16 novembre 2014

Le stylo n’a pas dit son dernier mot

Vous avez sans doute, ces derniers jours, griffonné une liste de courses sur un bout de papier ou laissé un Post-it sur un bureau. Peut-être avez-vous écrit un mot dans le cahier de correspondance de votre enfant ou pris rapidement des notes pendant une réunion. Mais quand avez-vous rédigé pour la dernière fois un long texte à la main ? A quand remonte votre dernier courrier « à l’ancienne », réalisé avec un stylo, sur une feuille de papier ? Faites-vous partie de ces gens, qui, dans leur activité professionnelle, abandonnent peu à peu le crayon au profit des agréments du clavier ?

Sylvie Serprix

Nul ne peut encore mesurer avec précision le déclin de l’écriture manuscrite, mais une enquête britannique, effectuée en juin auprès de 2 000 personnes, laisse entrevoir la profondeur du phénomène. Selon ce sondage commandé par Docmail, un Britannique sur trois n’a pas écrit à la main depuis six mois – en moyenne, le dernier document tracé au stylo remonterait à quarante et un jours. Les gens écrivent sans doute plus qu’ils ne le pensent, mais une chose est sûre : les nouvelles technologies permettent aujourd’hui de rédiger des textes avec une telle rapidité que, dans le monde du travail, elles supplantent peu à peu l’écriture manuscrite.
Les Etats-Unis en ont tiré les conséquences. Puisque les mails et les SMS ont remplacé les courriers, puisque les étudiants prennent désormais leurs notes sur ordinateur, puisque les employés effectuent leurs travaux sur écran, l’écriture dite « cursive », qui lie entre elles les lettres d’un même mot, ne fait plus partie des enseignements obligatoires du « Common Core Curriculum Standards », le socle commun à tous les Etats. Depuis 2013, les petits Américains sont obligés d’apprendre l’usage du clavier et l’écriture « script » (les caractères d’imprimerie), mais ils ne sont plus tenus de peiner sur les pleins et les déliés de l’écriture « attachée », encore moins sur ses capitales ornées de boucles.

Intenses controverses


Aux Etats-Unis, cette réforme a donné lieu à d’intenses controverses. Dans un éditorial publié le 4 septembre 2013, le Los Angeles Times s’est félicité de cette salutaire avancée. « Les Etats et les écoles ne devraient pas s’obstiner à apprendre aux enfants à écrire en attaché sur la foi d’une idée romantique selon laquelle c’est une tradition, un art ou une compétence fondamentale dont la disparition serait une tragédie culturelle. Evidemment, tout le monde doit être capable d’écrire sans ordinateur mais, d’une manière générale, l’écriture script est suffisante. (…) Ecrire en caractères d’imprimerie est plus clair et plus lisible. Et, pour beaucoup, c’est également plus facile et quasiment aussi rapide. »
Certains Etats, comme l’Indiana, ont cependant décidé de maintenir l’apprentissage de l’écriture cursive à l’école. Si cet enseignement disparaît, affirment-ils, les jeunes Américains ne pourront plus lire les cartes d’anniversaire de leurs grands-parents, les annotations que les professeurs portent sur leurs copies, ou le texte original de la Constitution et de la Déclaration d’indépendance, qui ont été rédigées à la main. « Personnellement, je n’arrive plus à me rappeler la dernière fois que j’ai lu la Constitution », a rétorqué avec humour l’universitaire Steve Graham, professeur de sciences de l’éducation à Arizona State University.

Les outils et les supports de l'écriture n'ont cessé de changer

 

Cette petite révolution a beau déchaîner les passions, elle ne constitue pas tout à fait une première. Depuis l’invention de l’écriture en Mésopotamie, 4 000 ans avant notre ère, l’humanité a traversé bien des révolutions technologiques. Des tablettes sumériennes à l’alphabet phénicien du premier millénaire avant Jésus-Christ, de l’invention du papier, en Chine, au début de notre ère, à la naissance du codex – ce cahier de feuilles manuscrites qui deviendra le livre –, de l’invention de l’imprimerie au XVe siècle à l’apparition du stylo Bic dans les années 1960, les outils et les supports de l’écriture n’ont cessé de changer.
A première vue, la bataille entre le clavier et le stylo pourrait donc apparaître comme le énième soubresaut de la longue histoire de l’écriture – une simple affaire d’outil auquel l’homme finira, vaille que vaille, par s’adapter. Peu importe d’ailleurs la manière dont on écrit un texte, pense-t-on souvent, ce qui compte, c’est sa qualité. Qui se demande, à la lecture d’un document, s’il a été rédigé avec un stylo ou tapé sur un ordinateur ? Qui s’interroge, lorsqu’il découvre un écrit, sur le geste technique qui a permis d’en conserver la trace ? (...)

Par

Lire la suite sur le site internet du journal Le Monde : http://abonnes.lemonde.fr/societe/article/2014/11/13/le-stylo-n-a-pas-dit-son-dernier-mot_4523185_3224.html

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