La violence sourde de chaque chapitre du programme annoncé par le futur président élu. Au plan intérieur il veut réduire les droits sociaux et les impôts des entreprises, supprimer l’Obamacare et libéraliser l’accès aux armes. Quand il menace la Chine ou l’Iran au plan extérieur et entend agrandir le format de l’armée.
L’impensable
est devenu réalité hier aux premières heures de la matinée : Donald
Trump sera le 45e président des États-Unis. Devant ses supporters
comblés il est apparu étonnamment tranquille et calme, appelant le «
peuple américain à se rassembler et à ne faire qu’une nation ». Il s’est
payé le luxe de féliciter la perdante, Hillary Clinton, publiquement ;
elle qu’il dénonçait encore quelques heures auparavant comme « la plus
corrompue » des dirigeantes, qu’il promettait de « jeter en prison ». «
Nous devons lui être reconnaissants pour tout ce qu’elle a fait pour
nous », a-t-il osé sans trahir une pointe ironie. La victoire du
milliardaire, qui s’exprimait non loin de l’une des tours de Manhattan
au sommet de laquelle il a installé son palais dans un luxueux triplex,
marque un basculement dans l’histoire du pays. Tant ce séisme politique
est d’abord le signe d’un formidable échec pour le clan Clinton au sein
du Parti démocrate et plus généralement d’un désaveu pour l’« élite »
politique traditionnelle et son inflexible foi dans la mondialisation
libérale.
Donald Trump s’est adressé au cœur de son électorat : ces
millions de citoyens accablés par la montée de la précarité ou taraudés
par l’angoisse d’être aspirés à leur tour par la machine à précariser et
à produire des souffrances ou des angoisses sociales. Il leur a promis
de « reconstruire les ponts, les autoroutes, les hôpitaux, les écoles »,
ces infrastructures qui ont beaucoup souffert de l’austérité au cours
des deux dernières décennies. Comme tout au long de sa campagne, il a
plaidé pour une réhabilitation du « rêve américain », assurant que
l’avenir serait « radieux ». Car chaque citoyen « aura l’occasion de
réaliser tout son potentiel ».
Un démagogue de la trempe de Donald Trump, qui a misé sur
l’exaspération de tout un peuple pour entrer à la Maison-Blanche, sait
qu’il doit rapidement montrer sa détermination à agir. Et sur ce point
l’examen de ses intentions ne fait que souligner la taille des dangers
que recouvre son arrivée aux affaires. Dans un contexte où il aura les
coudées franches puisqu’il a réalisé le « grand chelem » au Congrès, les
républicains confortant leur position à la Chambre des représentants et
conservant finalement la majorité au Sénat.
Le mépris bien réel que Trump porte aux « petites gens »
L’imposteur vomit « l’establishment » depuis les hublots
de son Boeing 757 privé ou des fenêtres de ses tours de Manhattan, lui
qui a fait fortune dans l’immobilier à l’ombre de son papa promoteur,
qui lui accorda jadis un « prêt » d’un million de dollars pour « (s)e
lancer ». Ses envolées électorales contre le système ne sauraient cacher
le mépris bien réel qu’il porte aux « petites gens ordinaires » en mal
d’accéder à un emploi et la conception toute particulière qu’il a du «
rêve américain », lui qui s’est fait connaître du grand public entre
2004 et 2010 grâce à The Apprentice, une émission de télé-réalité
diffusée par la chaîne NBC dont la règle était très simple : un groupe
de postulants à l’emploi était mis à l’épreuve devant les caméras. Et à
chaque étape Donald sélectionnait et tranchait d’un retentissant : «
Vous êtes viré. » Jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un, recruté à un
poste important au sein de la Trump Company.
Ainsi le futur président élu pourra être amené d’autant
plus fort à donner le change à ses électeurs qu’il ne voudra pas toucher
aux règles sélectives impitoyables du capital financier. C’est ainsi
qu’il faut prendre très au sérieux les diatribes xénophobes qu’il a
formulées durant la campagne, contre les migrants mexicains « violeurs
et voleurs » ou les musulmans globalement soupçonnés de complicité avec
le terrorisme, ou encore les hommes d’affaires chinois accusés de
dérober « l’emploi des Américains ». L’expulsion des migrants sans
papiers et la construction promise d’un mur à la frontière sud du pays
font partie de ces boucs émissaires qu’il entend livrer rapidement à ses
supporters. À défaut de changer réellement leur situation. Ce qui ne
manquerait pas d’attiser les haines et les violences au sein d’une
société déjà fracturée.
Le milliardaire n’a jamais fait mystère qu’il considérait,
à l’instar de nombre de patrons, les droits sociaux comme des freins à
la prospérité. En ligne de mire, de nouvelles restrictions des acquis
sociaux, voire une chasse ouverte aux syndicalistes, pénalisant
systématiquement les salariés désireux de s’organiser, comme l’a fait,
il y a quelques années, le gouverneur républicain du Wisconsin, Scott
Walker. C’est dire combien la résistance va constituer, dans les tout
prochains mois, la tâche essentielle des mouvements sociaux et des
syndicats qui avaient placé tant d’espoir dans la candidature de Bernie
Sanders lors de la primaire démocrate. Eux qui visaient réellement le
système, jusqu’à prôner – première dans la vie publique états-unienne –
une « alternative socialiste », ont été pris dans un terrible piège. Ils
ont dû se résoudre à jouer la carte du « moindre mal » face au danger
d’extrême droite. Mais avec une Hillary Clinton détestée de la
population, au point que nombre de citoyens n’ont pu se résoudre à voter
pour elle tant elle incarne fort le lien du monde politique
traditionnel avec Wall Street.
Une nouvelle libéralisation de l’accès aux armes à feu
Au chapitre de la régression sociale programmée par
l’avènement d’un président Trump, il faut ajouter la promesse d’abroger
ce qu’il est convenu d’appeler « l’Obamacare ». Aussi imparfaite et
limitée que soit cette tentative d’instaurer une couverture maladie pour
tous, elle a ouvert l’accès à la protection sociale à des millions de
personnes, promises donc à replonger dans leur statut de
laissés-pour-compte du… système. De quoi renforcer la violence déjà
endémique au sein d’une société de plus en plus inégalitaire. La
poursuite du processus de « re-ségrégation » des Africains-Américains
s’inscrit dans la même logique. Le nouveau chef des États-Unis n’a-t-il
pas fait part, à maintes reprises, de son « souci d’équilibre et de
compréhension » quand il est interrogé sur la terrifiante prolifération
de cette épidémie de meurtres de policiers blancs sur des citoyens noirs
de peau ?
Très perméable au lobbying de la National Rifle
Association (NRA), le nouveau président s’est prononcé pour une nouvelle
libéralisation de l’accès aux armes à feu et a promis de rayer les
quelques timides réglementations instaurées sur ce point par
l’administration Obama à la suite des derniers massacres des innocents
perpétrés par des déséquilibrés.
Cette foi dans « l’autodéfense » n’a d’égal qu’un
scepticisme affirmé à l’égard des enjeux climatiques. Pour le futur
président Trump, le réchauffement de la planète n’est au mieux qu’un
aléa météorologique, au pire un complot de la puissance concurrente
chinoise pour dissuader les États-Unis de fabriquer chez eux toute une
série de productions réputées trop polluantes.
L’inquiétude quant à une explosion des violences ne
concerne pas seulement les fractures intérieures. Sur le front de la
politique extérieure il est souvent convenu de présenter Donald Trump
comme un « isolationniste ». Cette caractérisation ne résiste pourtant
pas à un examen un peu attentionné de son programme sur le plan
militaire. Le futur nouveau commandant en chef de la plus puissante
armée du monde souhaite en agrandir le format en y ajoutant quelque
50 000 soldats d’active, en créant 13 nouveaux bataillons de marines et
en augmentant de près de 20 % le nombre de navires de guerre, engins
indispensables par définition à l’organisation d’interventions
lointaines.
Des velléités d’entente avec Vladimir Poutine
Quant aux intentions du nouveau président élu sur des
enjeux internationaux plus immédiats, elles contiennent elles aussi de
bonnes doses d’agressivité. Comme cette programmation planifiée du
renforcement de la ceinture de bases militaires états-uniennes à
proximité des rivages chinois pour placer Pékin sous surveillance, en
clamant le souhait de « punir » ses comportements commerciaux déloyaux.
Au Moyen-Orient, derrière les velléités d’entente avec cet autre
potentat nationaliste qu’est Vladimir Poutine, le prochain locataire de
la Maison-Blanche affiche sa volonté de jeter aux poubelles de
l’histoire l’accord sur le nucléaire passé par les grandes puissances
avec l’Iran. Et il jure au premier ministre israélien, Benyamin
Netanyahou, qu’il lui assurera un soutien sans faille après les subtiles
dissensions apparues avec l’administration Obama.
(...)
L'Humanité, 10/11/2016.
Article intégral en ligne : http://www.humanite.fr/danger-tous-les-etages-de-la-tour-trump-620285
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