mercredi 10 septembre 2014

Changer l'école : l'urgence

L'enseignement scolaire français creuse les inégalités sociales entre les élèves. Le système, trop rigide, et une pédagogie à réformer sont en cause

 
Loin de réduire les inégalités dues à l'origine sociale des élèves, l'enseignement scolaire français les accroît. La dernière livraison, en décembre  2013, de l'enquête triennale PISA, menée par l'OCDE, a fait l'effet d'un électrochoc et, après un long débat et beaucoup de déni, ce triste constat est désormais partagé. D'autres évaluations le corroborent : le programme Cycle des évaluations disciplinaires réalisées sur échantillon (Cedre), en fin de collège, par le ministère lui-même ; et l'enquête Programme international de recherche en lecture scolaire (Pirls), menée auprès des enfants de 9 et 10  ans, en CM1, à l'initiative de l'International Association for the Evaluation of Educational Achievement, basée à Amsterdam.

PISA évalue les compétences en mathématiques et en compréhension de l'écrit des élèves âgés de 15  ans. La France recule notamment en mathématiques, passant de 511  points, en  2003, à 495, en  2012, et se classant tout juste dans la moyenne des pays de l'OCDE, loin derrière la Corée (554  points), le Japon (536) ou la Suisse (531). Tandis que la tête de la classe française reste stable, avec 13  % de bons élèves, le recul enregistré est surtout la conséquence de l'envolée du nombre d'élèves en difficulté - c'est-à-dire, selon l'OCDE, qui n'ont pas les compétences suffisantes pour poursuivre des études et participer de manière efficace et productive à la vie de la société. En neuf ans, ce nombre est passé de 16,6  % à 22,4  %. " En France, la corrélation entre le milieu socio-économique et la performance est bien plus marquée que dans les autres pays, écrit l'OCDE dans son étude. Le système d'éducation français est plus inégalitaire en  2012 qu'en  2003. (...) Lorsqu'on appartient à un milieu défavorisé, on a clairement, aujourd'hui, moins de chance de réussir qu'en  2003. (...) Les élèves issus de l'immigration sont au moins deux fois plus susceptibles de compter parmi les élèves en difficulté ", assène-t-elle.

Une telle situation n'a cependant rien d'irréversible : des pays comme l'Allemagne et la Pologne affichaient, en  2003, des résultats inférieurs à ceux de la France. Ils l'ont désormais dépassée, avec des scores respectifs de 514 et 518  points. Il y a donc urgence et le diagnostic est bien posé : " Notre système est rigide, avec une pédagogie qui ne mobilise pas assez la créativité et la curiosité des élèves ", pointe François Taddei, directeur de recherche à l'Inserm et directeur du Centre de recherches interdisciplinaires (CRI), qui milite activement pour l'innovation dans l'éducation. " Une posture d'autorité, de hiérarchie, imprègne tous les échelons du système éducatif, remarque-t-il. On le voit dans les mots hérités du XIXe  siècle, comme "recteur" ou "inspecteur", qui évoquent plus le contrôle et la sanction que le soutien. Beaucoup d'enseignants innovent, mais ils se découragent assez vite de convaincre les dix échelons hiérarchiques au-dessus d'eux et, désabusés, ne soutiendront pas leurs collègues prêts à tenter des expériences. "

Une clé de l'amélioration du système éducatif est la refonte des formations initiale et continue des professeurs. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, le gouvernement les avait carrément supprimées, et les Ecoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE), mises en place par Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale du gouvernement Ayrault, peinent encore à convaincre d'une révolution pédagogique en marche. " Tout enseignant devrait être formé aux sciences de l'apprendre, savoir comment fonctionne le cerveau d'un enfant mais aussi comment utiliser les nouvelles technologies, travailler en réseau... Plutôt que de créer 60 000  postes, on ferait mieux d'investir dans la formation continue et la recherche en éducation ", suggère François Taddei.

Un pan entier de l'apprentissage est encore délaissé : l'intelligence émotionnelle, la capacité à interagir, la maîtrise du stress, le développement de l'empathie : " Ce sont des qualités et des capacités très importantes, autant que la connaissance elle-même ", soutient François Taddei, qui ne voit aucun antagonisme entre l'acquisition des fameux " savoirs fondamentaux " (lire, écrire, compter) et la stimulation de la créativité et de la curiosité : " Au contraire, l'apprentissage se fait d'autant mieux ", a-t-il constaté.

Isabelle  Rey-Lefebvre

Article publié dans le journal Le Monde du 11 septembre 2014.

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