jeudi 25 septembre 2014

Ebola : les retards pour contrôler l’épidémie se chiffrent en milliers de vie

Les Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) américains ne jouent pas à Madame Irma. S’ils ont publié, mardi 23 septembre, une étude estimant le nombre de cas à venir dans l’épidémie d’Ebola qui sévit au Liberia et en Sierra Leone, c’est afin de définir les efforts supplémentaires à accomplir pour maîtriser la transmission du virus et parvenir à enrayer cet épisode infectieux hors normes apparu il y a six mois.

 

Selon leurs calculs de modélisation, en l’absence d’un renforcement des mesures déjà mises en place, ce ne sont pas environ 8 000 cas d’infection qui auront été comptabilisés au 30 septembre, comme le projettent les données officielles, mais 21 000. Il existe en effet une forte sous-déclaration des patients contaminés, qui impose de multiplier les chiffres annoncés par un facteur de correction de l’ordre de 2,5. Le Liberia porterait la part la plus grande du fardeau avec environ 6 000 cas sur la base des chiffres officiels (16 000 cas après correction). Le dernier bilan publié mercredi par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) fait pour l’instant état de 5 220 cas pour les deux pays.

LE NOMBRE DE CAS DOUBLE TOUS LES VINGT JOURS


En moyenne, le nombre de cas d’infection double environ tous les vingt jours, avec là encore un rythme plus soutenu au Liberia (multiplication par deux tous les quinze à vingt jours) qu’en Sierra Leone (doublement tous les trente à quarante jours).

Dans l’hypothèse où l’épidémie continuerait de se développer au même rhytme et sans accroissement des moyens pour la contrôler, les CDC parviennent au chiffre impressionnant d’environ 550 000 cas au 20 janvier 2015 pour les deux pays soit, après correction, 1,4 million de personnes infectées. L’étude du CDC reconnaît cependant que les engagements internationaux pour aider les pays d’Afrique de l’Ouest frappés par Ebola, qui sont en train de se traduire sur le terrain, rendent ces projections extrêmes « très improbables ».

En l’absence d’un vaccin et de traitements éprouvés disponibles, le facteur clé qui décidera du futur de l’épidémie est le contrôle de la transmission du virus. Cela passe tant par les capacités à pouvoir hospitaliser les malades dans des unités spécialisées que par l’adoption de comportements limitant la contagion (évitement des contacts physiques avec les malades, lavage des mains et funérailles dans des conditions sécurisées).

HOSPITALISATION DANS DES UNITÉS SPÉCIALISÉES


Les CDC ont souhaité illustrer par deux scénarios la manière dont ces deux types d’intervention permettraient de « contrôler et, au bout du compte, mettre un terme à l’épidémie ». Le premier s’appuie sur un accroissement progressif, à partir du 23 septembre, du taux d’hospitalisation des malades dans des unités spécialisées, ainsi que de la proportion d’entre eux vivant dans un environnement où leur risque de transmettre la maladie est réduit.

Selon ce scénario, si ces deux taux atteignaient 70 % au 22 décembre, l’épidémie au Liberia et en Sierra Leone « pourrait presque être terminée le 20 janvier 2015 ». Une fois atteint le seuil de 70 %, l’épisode infectieux décroîtrait à une vitesse aussi grande que celle à laquelle il s’est développé.

NOMBRE QUOTIDIEN DE CAS TRIPLÉ POUR CHAQUE MOIS DE RETARD


Le second scénario compare les conséquences sur le nombre de cas d’infection du délai de la mise en œuvre de moyens supplémentaires pour enrayer l’épidémie. Les CDC estiment qu’en parvenant au seuil de 70 % de patients en isolement à partir du 23 septembre, l’épidémie atteindrait un pic de 1 335 cas par jour (3 408 cas après correction) et tomberait à moins de 300 cas quotidiens au 20 janvier 2015. Dans l’hypothèse où le renforcement des mesures de contrôle interviendrait avec un retard d’un mois, à partir du 23 octobre, le pic épidémique se situerait à 4 178 cas par jour (10 646 cas après correction). Enfin, si le retard atteignait deux mois avec une intensification du contrôle à partir du 22 novembre, le nombre quotidien de cas prévisibles au 20 janvier 2015 serait de 10 184 (25 847 après correction).

Ainsi, précise l’étude des CDC, chaque retard d’un mois pour augmenter le nombre de patients dans des unités spécialisées jusqu’à atteindre un taux d’hospitalisation de 70 % est associé à un quasi-triplement du nombre de cas quotidiens se produisant lors du pic de l’épidémie. Dans les trois hypothèses, l’épidémie se terminerait malgré tout.

L’URGENCE D’INTENSIFIER LES EFFORTS


Comme dans tout travail de modélisation, l’étude des CDC est un reflet imparfait de la réalité en raison de plusieurs limites que ses auteurs, Martin Meltzer et ses collègues, reconnaissent. Tout d’abord, les modifications spontanées de comportement dans la population pour éviter les contacts avec des malades ou des changements dans les mouvements de population peuvent affecter la tendance actuelle de propagation de l’épidémie. Par ailleurs, les calculs s’appuient sur les données des précédentes épidémies. Or, même si celle actuelle paraît posséder les mêmes paramètres épidémiologiques, il n’est pas certain que cela soit toujours le cas.

De même, le facteur de correction calculé par les auteurs (2,5) peut varier au fil du temps et ne pas être applicable de la même manière à toutes les régions d’un pays touché. Enfin, le second scénario ne prend pas en compte les aspects logistiques nécessaires à l’accroissement du nombre de patients placés en unités spécialisées ou vivant dans un foyer où le risque de transmission est réduit.

Malgré ces limites, le travail de modélisation et les scénarios établis par les CDC mettent en évidence l’urgence d’intensifier les efforts des pays touchés et l’aide internationale. Tout retard se paye en milliers de vies.

Par Paul Benkimoun.
Article paru dans le journal Le Monde du 25 septembre 2014.

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