mardi 9 septembre 2014

Deux solutions pour faire baisser le chômage

Formation des jeunes et partage du travail : 
Denis Clerc propose deux pistes pour inverser la courbe du chômage.

La France ne va pas bien. Certes, ses résultats économiques et sociaux se situent dans la moyenne des pays de l’Union européenne (UE). Mais le pays est rongé par un chômage de masse qui dure depuis longtemps et qui ne semble pas devoir se réduire sensiblement dans les mois qui viennent. Renouer avec la croissance ? Difficile d’y croire, dans un ensemble européen plombé par son endettement et ses politiques d’austérité et dans un contexte environnemental critique. Alors, comment créer de l’emploi avec une croissance nulle ou faible ? Voici deux pistes envisageables.



L’emploi des jeunes


Un quart des 15-24 ans présents sur le marché du travail sont au chômage, soit 730 000 personnes. Presque la moitié d’entre eux sont dépourvus de diplôme (1). Leur taux de chômage est quatre fois plus élevé que celui des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur. Essentiellement parce que, depuis trente ans, seuls les emplois salariés qualifiés (cadres, techniciens, infirmiers, aides-comptables, etc.) ont vu leur nombre augmenter (+ 4,9 millions depuis 1982), tandis que les emplois non qualifiés diminuaient (- 100 000). Le chômage des jeunes non qualifiés tient à la distorsion croissante – que la crise accentue – entre leur insuffisance de formation et le type d’emplois créés. À la sortie de l’école, seul un tiers d’entre eux travaille, les emplois qu’ils auraient pu occuper ayant disparu.

Les emplois d’avenir, réservés aux jeunes non qualifiés qui ne sont ni en emploi ni en formation, sont une réponse intéressante, mais insuffisante. En effet, ces emplois sont situés principalement dans le « secteur non marchand », qui dépend largement d’un financement public (associations, organismes publics) : au terme du contrat aidé, quand bien même le salarié se serait révélé être une perle, le manque de financement empêche l’employeur de prendre le relais. Dans le secteur marchand, au contraire, aucun employeur n’hésitera à passer d’un contrat aidé à une embauche si le jeune est jugé capable de produire davantage qu’il ne coûte.


On pourrait positionner ces contrats dans le secteur marchand, en leur donnant, la première année, un statut de stage de formation professionnelle, rémunéré au smic et financé en partie par le budget de la formation professionnelle continue qui, aujourd’hui bénéficie essentiellement aux plus diplômés. Le complément de financement apporté par l’État le serait moyennant trois conditions : qu’il s’agisse, comme pour les contrats d’avenir, d’un jeune non diplômé au chômage ; qu’un tuteur soit chargé de son encadrement et de sa formation dans l’entreprise ; qu’il y ait, au terme de l’année de formation sur le tas, une « reconnaissance des savoir-faire professionnels » acquis. Ensuite, en cas d’embauche en contrat à durée indéterminée et à temps plein par un employeur, une aide publique couvrirait 30 % du coût salarial durant un an. En mobilisant en partie le budget de la formation professionnelle continue, l’actuel budget affecté aux 100 000 emplois d’avenir pourrait, sans dépense publique supplémentaire, financer 150 000 contrats de « formation-embauche » annuels débouchant majoritairement (100 000 par an ?) sur une embauche. Et redonnant un avenir professionnel aux jeunes concernés. 

Pas de formation suffisante, donc pas de travail : c’est ce cercle vicieux qu’il faut parvenir à casser. À terme, il s’agit de réduire l’échec scolaire, puisque, actuellement, un jeune sur six quitte l’école sans diplôme (2). Mais en attendant, il s’agit d’empêcher ces jeunes de s’enfoncer dans la pauvreté faute d’emploi. 



Le partage de l’emploi


Dans une économie sans croissance, ou à faible croissance, la création d’emplois implique de partager une partie de ceux qui existent. Les économistes, majoritairement, n’y croient pas, estimant que le travail ne se partage pas, tant chacun lui imprime sa marque et sa personnalité. Pourtant, c’est déjà une réalité massive : l’intérim, les contrats de courte durée ou le travail posté sont des emplois partagés entre plusieurs personnes qui se succèdent ou se remplacent sur le même poste. 


Source : extrait du grand dossier N°36 des Sciences Humaines, disponible au Centre de ressources



Une révolution généralisée du temps de travail


Mais, si l’on partage l’emploi, il faut aussi partager les salaires. À défaut, le coût de production augmentera pour les entreprises, lesquelles sont déjà, pour bon nombre, en situation difficile. Et le nombre de nouveaux emplois créés sera faible ou nul. Le partage de l’emploi ne peut donc se faire sur le modèle des 35 heures, mais doit s’accompagner d’une baisse du salaire brut de même ampleur que la réduction du temps de travail, pour favoriser le maximum d’embauches compensatrices sans coût supplémentaire pour les entreprises. Impossible ? Pas si la CSG sur les salaires est réduite d’autant, le salaire net demeurant alors inchangé. Le trou en résultant pour la Sécu serait comblé par une hausse de TVA, permettant de faire peser le poids de cet effort collectif en faveur de l’emploi sur tous les consommateurs et non sur les seuls salariés en place. Ensuite, il faudrait mettre à contribution les importations tout en allégeant le coût de production des exportations, une mesure qui, expérimentée par l’Allemagne en 2006, n’est pas étrangère au bond en avant de ses exportations. Bref, une « TVA sociale » équilibrée par un dispositif créateur d’emplois.

Un rapide calcul montre qu’une réduction généralisée du temps de travail de 6 heures mensuelles (- 4 %) s’accompagnant d’une baisse similaire du salaire brut, mais pas du salaire net (puisque la CSG passerait de 7,5 % à 3,5 %), pourrait permettre jusqu’à 1 million d’embauches compensatrices sans surcoût pour les entreprises. Évidemment, certaines d’entre elles, au lieu d’embaucher, en profiteraient pour réduire leurs sureffectifs sans licencier, d’autres s’efforceraient de gagner en productivité pour regonfler leurs marges, d’autres encore ne réduiraient pas le temps de travail, faute de trouver le personnel compétent qu’elles souhaitent. Mieux vaut donc tabler sur 500 000 salariés supplémentaires : moins de chômage et un effet bénéfique sur la consommation, le niveau de vie… et le moral, atténuant d’autant la hausse de TVA nécessaire pour compenser la perte de CSG (3). Un dispositif qui pourrait d’ailleurs s’intégrer dans le « pacte de responsabilité » qui vient d’être mis en place au bénéfice des entreprises, par exemple en subordonnant les réductions de cotisations sociales prévues par ce pacte à des embauches compensatrices. 

Compliqué ? Sans doute. Mais pas plus que les efforts désespérés pour relancer la croissance ou empêcher les licenciements. La faiblesse de nos marges de manœuvre dans une économie à la fois en crise et largement ouverte sur l’extérieur impose de faire preuve d’imagination. Non pas en rêvant de la société parfaite, mais en s’appuyant sur les mécanismes mêmes de l’économie de marché, afin d’atteindre des objectifs sociaux bénéfiques à tous.

Source : extrait du grand dossier N°36 des Sciences Humaines, disponible au Centre de ressources.

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