lundi 15 septembre 2014

Ma vie en boîte : chronique parler, même de rien

Salut, ça va ? – Ça va. " On s'interroge sur la raison d'un tel échange. Humoristes et philosophes s'affrontent sur le sujet. Pierre Dac ironisait : " Parler pour ne rien dire et ne rien dire pour parler sont les deux principes majeurs et rigoureux de tous ceux qui feraient mieux de la fermer avant de l'ouvrir. " Les linguistes voient au contraire dans ces expressions dites " phatiques " – utilisées pour meubler une conversation – un moyen essentiel pour établir un lien entre deux individus.

Contrairement à ce qu'on aurait pu imaginer, e-mails et SMS, loin de purger leur contenu de ces locutions ineptes, en ont démultiplié l'usage. Elles forment le substrat de la très grande majorité des tweets et discussions portés par les réseaux sociaux grand public comme Facebook, constate Dominique Turcq, consultant, fondateur de l'Institut Boostzone, dans son blog sur le management augmenté.
" Slow management "
Faut-il, au nom de l'efficacité, les bannir des réseaux sociaux d'entreprise et des e-mails professionnels ? Surtout pas !, estime ce spécialiste. " Les conversations phatiques sont stratégiques. Une information transmise avec un contenu phatique – trait d'humour, émoticône – sera mieux reçue et mieux utilisée. Permettre et encourager une bonne utilisation des éléments phatiques va devenir un savoir-faire reconnu et indispensable à tout manageur ", insiste-t-il.
Il ajoute ainsi sa pierre à la méthode managériale du slow management, élaborée en réaction aux procédés d'organisateurs ne laissant rien au hasard. Cette pratique incite à dégager autant de temps que possible pour discuter avec ses collaborateurs, quitte à provoquer les rencontres en se baladant, en pratiquant le " management by walking around ". Ce qui rend plus performant, dit Loïck Roche, directeur général de Grenoble Ecole de management, dans le Dictionnaire des risques psychosociaux (Seuil, 888 p., 49 €). Même si les " Ça va ? "" Sale temps ! " et autres expressions météorologiques constituent une proportion non négligeable des paroles échangées par le fait d'un hasard savamment provoqué.
Les adeptes ne vont plus avoir à chercher de prétexte pour se livrer au plaisir de cette déambulation épisodique. A l'heure des bureaux virtuels, il est peut-être rassurant de savoir que, en tweetant, ils pourront continuer de se balader, et que gazouiller leur sera même recommandé !

Par Annie Kahn, kahn@lemonde.fr, publié dans le journal Le Monde du 16 septembre 2014.



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