mercredi 10 septembre 2014

Culture : L’histoire se réécrit à la machine

Condamnée à une disparition certaine par l’arrivée de l’ordinateur, la machine à écrire fait un retour remarqué. L’origine de ce phénomène : la surveillance électronique, mais aussi des jeunes branchés.

Dessin de Falco, Cuba.

Son cliquetis cacophonique était l’ordinaire des rédactions, au même titre que la sténo et la fumée de cigarette. D’illustres écrivains, de Jack Kerouac à Ernest Hemingway, s’en servaient pour déverser leurs flots de mots sur les pages de leurs romans. 

Pourtant, jusqu’à récemment, le destin de la machine à écrire paraissait tout tracé : au même titre que ceux du télégraphe et de la disquette : elle allait rejoindre le rayon des technologies superflues. La surveillance sur Internet et les craintes qui en résultent vont-elles lui valoir une deuxième vie ? 

Patrick Sensburg, rapporteur de la commission parlementaire allemande qui enquête sur les activités de la NSA [National Security Agency, service du renseignement américain] en Allemagne, a fait la une de la presse en juillet lorsqu’il a déclaré que son groupe de travail envisageait d’utiliser la machine à écrire mécanique pour rédiger les documents sensibles. 

L’année dernière, l’une des agences du renseignement russe, le Spetssviaz (Service des communications spéciales et d’information), a passé commande de vingt machines à écrire. On avait alors commencé à parler d’une relance de l’utilisation des machines à écrire par les services de sécurité. L’hypothèse a été confirmée quand, après la parution d’un reportage dans l’hebdomadaire allemand Wirtschaftswoche, la société de technologie et de défense Diehl Gruppe a annoncé qu’elle utilisait des machines à écrire traditionnelles pour traiter les “questions sensibles”.Les ventes de machines à écrire du fabricant allemand Olympia devraient atteindre 10 000 unités cette année, soit plus du double de 2013. 


Toutefois, au dire d’Andreas Fostiropoulos, responsable des achats de l’entreprise, la raison principale de cette hausse est le retrait de la société japonaise Brother du marché local. “Nous n’allons tout de même pas jusqu’à imaginer que [les craintes en matière de surveillance] vont aboutir à une renaissance [de la machine à écrire] – ce serait une bonne chose, évidemment, mais nous sommes réalistes”, reconnaît-il. 

Le récent retour en grâce de la machine à écrire aurait plutôt pour origine les étudiants, les esprits créatifs et les hipsters“J’ai été à deux doigts de mettre la clé sous la porte dans les années 1990, mais vers 2001 les affaires ont repris de plus belle”, raconte Tom Furrier, propriétaire de Cambridge Typewriter, une boutique de vente et de réparation établie à Arlington, dans l’Etat américain du Massachusetts.“Vous aviez des jeunes qui venaient se renseigner sur les machines à écrire anciennes. Tout a commencé petit à petit, et maintenant c’est un vrai succès, une tendance lourde.” 

Tom Furrier assure qu’environ un tiers de ses clients n’ont pas 30 ans.“Ce sont des gens qui ont grandi avec les ordinateurs et les jeux vidéo,commente-t-il. Ils n’aiment rien tant que d’essayer des appareils analogiques et découvrir qu’ils sont sympas à utiliser.” Edward Michael, de Swintec, un fabricant de machines à écrire du New Jersey, cite une autre raison pour expliquer cet attrait : “Quand on s’assied devant un ordinateur, on regarde ses courriels, on chatte avec quelqu’un, on se connecte sur Facebook et on ne commence pas à écrire avant trois quarts d’heure. Avec une machine à écrire, on est tout de suite à 100 % dans ce qu’on a à faire.” 

Aux Etats-Unis, les différentes administrations, les municipalités, les cabinets d’avocats, les hôpitaux, les entreprises de pompes funèbres et les forces de police utilisent encore des machines à écrire pour les documents officiels, les étiquettes d’adresses, ou pour faire des copies carbone. L’entreprise Swintec fabrique même des machines à écrire transparentes, destinées aux prisons américaines [pour éviter toute contrebande]. Il reste également de nombreuses raisons romantiques d’utiliser une machine à écrire. “J’ai entendu parler d’auteurs qui écrivent leurs romans à la machine et qui, au lieu de supprimer un mot avec la touche retour arrière [d’un ordinateur], retapent la page entière, assure Michael. Résultat, ils réfléchissent un petit peu mieux et améliorent leur texte. En retapant une page, on peut changer l’histoire.” Chris Bryant 
Publié le 27 juillet 2014 dans le Financial Times Londres

1 commentaire :

  1. l'écriture n'est peut-être pas morte, le stylo, le crayon et la machine résistent !

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