mardi 9 septembre 2014

DIMANCHE : Duel gauche-gauche sur le travail dominical à Paris

Le compte à rebours est lancé. Mardi 9 septembre, Laurent Fabius devait être entendu par la Mission d'information et d'évaluation (MIE) mise en place par Anne Hidalgo mi-juin sur " le travail dominical et nocturne à Paris ".

Deux des quinze membres de cette mission représentative du Conseil de Paris traverseront la Seine pour s'asseoir dans le bureau du ministre, quai d'Orsay, à 16 h 30. " Un petit comité, c'est plus discret ", observe un élu parisien. Seuls Bernard Gaudillère, président de la mission, élu PS, homme de confiance d'Anne Hidalgo, et Jean-Baptiste de Froment, élu UMP du 9e arrondissement, son rapporteur, recueilleront l'avis du numéro deux du gouvernement de Manuel Valls.
Son opinion ? La maire de Paris la connaît. Le 22 avril, quinze jours après les élections municipales, celui qui vient de récupérer le portefeuille du tourisme lors du remaniement qui a suivi le scrutin lâche une bombe. Il se déclare favorable à une ouverture accrue des magasins le dimanche dans la capitale. Objectif : relancer le tourisme à Paris. Ses déclarations sur RTL tétanisent la majorité. Une première pierre dans le jardin d'Anne Hidalgo.
La machine à convaincre de M. Fabius est lancée. Elle ne s'arrêtera plus. Un mois plus tard, le ministre envoie au front sa secrétaire d'Etat chargée du tourisme. " Cela ne sert à rien d'ouvrir tout Paris, (…) il y a des zones où les touristes souhaiteraient pouvoir faire leurs courses de manière plus libre ", déclare Fleur Pellerin le 19 mai sur BFM Business. Puis M. Fabius " se fait de plus en plus pressant ", selon un élu parisien.
Mme Hidalgo " cherche, elle, à gagner du temps ", note une élue. Le 17 juin, à sa demande, le Conseil de Paris adopte la création de la MIE. " Perte de temps inutile ", raille un maire d'arrondissement. Elle doit " procéder à la plus large consultation possible " et rédiger un rapport à examiner au " plus tard le 16 décembre ".
Le calendrier de la Ville de Paris se télescope avec celui de Matignon. Le gouvernement a promis de se pencher sur l'imbroglio de la législation sur le travail dominical, à partir des conclusions du rapport Bailly remis par l'ancien patron de La Poste en décembre 2013. De nouvelles dispositions devraient être adoptées dans la future loi sur la croissance et le pouvoir d'achat. " Mais uniquement dans les zones touristiques. Et cette question sera réglée par un débat parlementaire et non par ordonnance ", a précisé le 4 septembre Jean-Marie Le Guen, ministre des relations avec le Parlement. 
Source : Juliette Garnier, article tiré du journal LE MONDE du 10/09/2014.

Le simili dépaysement au ministère des affaires étrangères de ce dossier, qui relève habituellement du ministère du travail, n'y fait rien : la tension est palpable au sein de la majorité parlementaire, tout comme au sein de l'aile gauche du Conseil de Paris.
" Le problème d'une partie de la gauche est d'avoir fait de ce dossier un marqueur, un symbole. Le débat est prisonnier de ces aspects symboliques ", regrette Christophe Caresche, député PS. Car tout le monde, à gauche, veut éviter de jeter aux orties " la lutte sociale des syndicats qui se sont battus pour le repos dominical " au XIXe siècle. Et au passage, bien entendu, les élus socialistes s'inquiètent de ce nouveau coup de canif porté aux promesses de campagne de François Hollande. Devant Martine Aubry, farouche opposante au travail dominical, n'avait-il pas juré que le " combat de 2012, c'est de préserver le principe du repos dominical, c'est-à-dire de permettre aux travailleurs de consacrer un jour de leur semaine à leur famille, au sport, à la culture, à la liberté " ? " J'y veillerai ", assurait-il le 17 avril 2012 lors d'un meeting à Lille.
Depuis cet été, tout s'accélère. Le 19 juin, lors des Assises du tourisme, M. Fabius dévoile une trentaine de mesures d'urgence pour " attirer 100 millions de touristes " en France. Dont l'ouverture des magasins le dimanche dans la capitale. Certes, le ministre des affaires étrangères se garde de prôner une libéralisation totale, urbi et orbi. Paris, seule, est dans sa ligne de mire. M. Fabius dit même vouloir limiter cette possibilité d'ouvrir le dimanche à certaines " zones touristiques d'affluence exceptionnelle ". Au premier rang desquelles le boulevard Haussmann où flottent les enseignes Printemps et Galeries Lafayette, dont raffolent les Chinois, les Russes et les Américains. Ces touristes écourteraient leur séjour à Paris faute de pouvoir y faire du shopping le dernier jour de la semaine. " Le quartier Haussmann est une vitrine unique où on ne peut pas s'interdire de travailler le dimanche, évidemment ", plaide Delphine Bürkli, maire UMP du 9e arrondissement.
Au lendemain des annonces de M. Fabius, les syndicats parisiens protestent. CGT en tête. Mais Manuel Valls enfonce le clou à la rentrée. " Nous allons accroître la concurrence, alléger certaines règles, je pense à celles relatives au travail du dimanche ", affirme le premier ministre le 27 août lors de l'université du Medef.
Voilà Mme Hidalgo prévenue. " L'Etat s'empare d'un sujet qui ne concerne que Paris ", note Jean-Louis Missika, élu sans étiquette du 12e. " Tout au long de la campagne électorale, Anne Hidalgo a soufflé le chaud et le froid au sujet de l'ouverture dominicale ", raconte Mme Bürkli.
A quelques jours du second tour des municipales, lors du débat télévisé du 26 mars, Mme Hidalgo s'oppose à Nathalie Kosciusko-Morizet sur les " 10 000 emplois  qui pourraient être créés ", selon la candidate UMP, grâce à une autorisation donnée aux grands magasins d'ouvrir sept jours sur sept. " Je ne suis pas pour la dérégulation ", lui répond Mme Hidalgo en défendant le travail du maire sortant, Bertrand Delanoë. " Lui n'a jamais voulu ouvrir le dossier ", raconte M. Caresche.
Une fois élue par le Conseil de Paris, le 5 avril, Mme Hidalgo a dû " composer avec sa majorité ", rapporte un élu. " Car les tenants d'un assouplissement sont plus nombreux qu'on ne le croit au sein de la majorité socialiste du Conseil de Paris ", note un autre. Plusieurs ont exprimé un avis favorable " à titre personnel " pour mettre fin au maquis de la réglementation en vigueur en France.
C'est le cas de M. Missika, inquiet du sort du centre commercial Bercy-Village, plusieurs fois condamné pour ouverture illégale. " A titre personnel, je suis favorable à un assouplissement ", explique au Monde le chargé de l'urbanisme. Depuis des années, Christophe Caresche, député PS du 18e arrondissement, s'alarme, lui, des distorsions de concurrence entre les commerces autorisés au pied de Montmartre et ceux interdits d'ouverture place des Abbesses, située à un jet de pierre des escaliers de la Butte. " Je suis très pour ! Dans les zones touristiques, j'entends ", clame celui qui revendique être dans la lignée de MM. Fabius et Valls.
Bref, le clivage droite-gauche ne serait plus. " Il faut désormais s'attendre à une alliance surprenante entre UMP et une partie du PS au sein du Conseil de Paris ", avance même un élu parisien. Mme Bürkli " tend la main à Anne Hidalgo ". M. Caresche l'intime, lui, " d'y aller, maintenant ", et d'enterrer " ce combat d'arrière-garde dans les zones touristiques ".
Un temps envisagée, la voie de l'ordonnance pour modifier la loi aurait permis à Mme Hidalgo d'échapper, en partie, à ce guêpier politique. La maire de Paris s'y était même déclarée favorable. Las, le gouvernement s'est ravisé.
Maintenant, comment faire concrètement pour autoriser l'ouverture des magasins le dimanche à Paris ? La question reste entière. " Ce sera compliqué ", note un membre de la MIE. Classer Paris dans son ensemble en zone touristique est exclu. " Le petit commerce ne pourrait suivre ", explique M. Missika. " Et tous les quartiers ne sont pas touristiques ", juge Mme Bürkli.
Alors faut-il étendre les zones touristiques existantes ? Mme Hidalgo s'y dit prête. Paris en compte sept. Le Comité des commerçants de l'avenue Montaigne rêve ainsi de relever de celle des Champs-Elysées. La maire de Paris accepterait aussi " la création de nouvelles zones ", à condition que les employés bénéficient de " compensations salariales ", et que soit pris en compte " l'avis des riverains ", a-t-elle dit le 3 septembre sur Europe 1. Les quartiers candidats sont nombreux. " Saint-Germain-des-Prés, Bercy-Village, Beaugrenelle et même le 13e arrondissement pour régler le problème des supermarchés Tang Frères ", énumère un membre de la MIE.
Reste l'épineux problème de la rémunération des salariés. " Car le gouvernement fera du donnant-donnant à Mme Hidalgo ", avance un élu parisien. Or, dans une zone touristique, sauf accord de branche ou d'entreprise, la loi prévoit que l'employeur puisse exiger des salariés qu'ils travaillent le dimanche, sans majoration du salaire horaire. Dans les Périmètres d'usage de consommation exceptionnels (PUCE), à l'instar de Plan de campagne près de Marseille, les salariés sont, eux, payés double. " Imposer ce système de rémunération à tous les employeurs à Paris serait trop coûteux ", avance un élu.
A Paris, M. Caresche plaide pour un système à deux vitesses en fonction de la taille de l'entreprise. Objectif : préserver le petit commerce et la diversité commerciale chers à Mme Hidalgo.
Source : Juliette Garnier, article tiré du journal LE MONDE du 10/09/2014.

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