lundi 29 septembre 2014

Contrainte pénale : l'application à marche forcée

Promulguée le 15 août, la peine alternative à la prison entre en vigueur mercredi 1er octobre



L'administration pénitentiaire a les mains moites : la peine de probation, rebaptisée " contrainte pénale ", a eu beaucoup de mal à se frayer un chemin jusqu'au Parlement – Christiane Taubira, la garde des sceaux, avait présenté le projet en conseil des ministres dès le 9 octobre 2013 –, mais la loi a été définitivement adoptée le 17 juillet et promulguée le 15 août. Elle entre en vigueur mercredi 1er octobre. C'est court, très court.
Les notes de cadrage (le mode d'emploi de la réforme) n'ont été envoyées que vendredi 26 septembre. La première promotion des 480 premiers conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP), sur qui repose la réforme, n'a commencé sa formation qu'au 1er septembre et ne sera en stage qu'en janvier 2015.
La contrainte pénale est la traduction timide et française des règles européennes adoptées en 2010 par le Conseil de l'Europe. Elle consiste à imposer à un condamné – c'est bien une peine – une série de sanctions, de mesures, d'assistance, et un suivi en milieu ouvert, hors incarcération : les recherches ont montré que la prison ne fait rien pour réduire la récidive, au contraire. Il s'agit, pour l'Europe, de " réintégrer socialement l'auteur d'infractions dans la société et de contribuer à la sécurité collective ". Cette contrainte ne s'adresse qu'à la foule des petits délinquants, et non pas aux criminels – au moins jusqu'en 2017, où elle sera étendue à tous les condamnés, après évaluation du dispositif.
Franck Johannès.
Article publié dans le journal Le Monde du 30 septembre 2014.


Deux cas de figure vont se présenter. Le tribunal, dans le cas le plus probable, juge un condamné pour un délit d'une peine n'excédant pas cinq ans, et le condamne à une contrainte pénale, pour une durée de six mois à cinq ans. Il fixe les contraintes – ne pas approcher les victimes, se soigner, accomplir un travail d'intérêt général. Le condamné est ensuite convoqué dans les huit jours par un CPIP, appuyé par un second conseiller, pour qu'il ne soit pas abandonné dans la nature si le premier conseiller est en vacances.
Le CPIP a trois mois pour évaluer la personnalité du délinquant et sa situation professionnelle ou familiale : on n'accompagne pas de la même manière un chauffard du samedi soir (15 % de récidivistes pour les infractions au code de la route) et un SDF sans famille. En prison, 64 % des entrants n'ont aucun diplôme, 11 % ne savent pas lire, 38 % souffrent d'une addiction dont 30 % à l'alcool, 7 % n'ont nulle part où aller, 80 % ont au moins un trouble psychiatrique et 35 % des détenus sont " manifestement malades " : on incarcère d'abord les pauvres et les fous.
Le CPIP remet son rapport au juge d'application des peines, qui a, à son tour, un mois pour prendre une décision : quatre mois après la condamnation, la prise en charge du délinquant commence. Pour une condamnation en octobre, le suivi débutera donc en février 2015, ce qui laisse un peu de temps pour s'organiser.
Le second cas de figure consiste pour le tribunal à ordonner une césure dans le procès, comme pour les mineurs : le délinquant est d'abord reconnu coupable, le CPIP fait dans les mêmes conditions une analyse fine de sa situation dans les trois mois, puis le tribunal fixe les modalités de la contrainte pénale, éventuellement affinées ensuite par le juge d'application des peines. L'inconvénient est évidemment d'organiser deux audiences pour des tribunaux déjà surchargés.
Si le condamné à une contrainte pénale ne respecte pas ses obligations, après plusieurs rappels à l'ordre, il est incarcéré par le tribunal, qui a fixé ce possible emprisonnement dès la condamnation. L'incarcération ne peut excéder deux ans ni le maximum de la peine encourue. La contrainte pénale n'est donc pas totalement détachée de la prison – première entorse au principe de la probation – et s'ajoute au sursis avec mise à l'épreuve (SME) qui lui ressemble fort, mais touche à toutes les infractions, ce qui ne contribue pas à la lisibilité de la nouvelle peine.
Les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation ont du pain sur la planche. Ils sont 4 080 (un peu plus de 3 000 sur le terrain) pour suivre 175 200 personnes en milieu ouvert, et 67 000 personnes incarcérées, soit un rendez-vous par mois pour vérifier si tout va bien dans le meilleur des cas. Pour la contrainte pénale, il leur faudra organiser " au moins quatre entretiens individuels ", dit la note de cadrage, dont un, curieusement, collectif, dans les trois mois, et " entamer un travail sur le passage à l'acte, le sens de la peine, le rapport à la loi et la prise en compte des victimes ", quitte à mettre en relation le condamné avec une association de victimes.
L'un des principaux syndicats, le SNEPAP-FSU, très favorable à la probation, s'inquiète de ce mélange des genres : " On confond, dans la précipitation, l'évaluation de la personnalité du condamné avec le suivi de la peine de contrainte pénale ", estime-t-il. La confrontation du condamné avec ses victimes n'a guère de sens dans la phase d'évaluation – il s'agit des expériences de " justice restaurative ", expérimentées une seule fois en France, mais qui donnent des résultats passionnants au Canada.
" La chancellerie a tenu à ce que la contrainte pénale soit rapidement lisible pour le grand public, analyse Olivier Caquineau, secrétaire général du syndicat, il faut montrer que cette peine va s'appliquer tout de suite, que le suivi est “soutenu” et donc intensif. "
Reste la question des moyens. Le ratio théorique des CPIP est de 90 condamnés par conseiller. Mais une partie des conseillers sont affectés au " pôle enquête " (la vérification matérielle de la situation des condamnés), et ne suivent personne en particulier. C'est ainsi que chaque CPIP suit en moyenne 130 à 140 condamnés, voire jusqu'à 250 dans le Nord ou les Alpes. Mille nouveaux CPIP seront formés dans les trois ans – soit 25 % d'augmentation, ce qui ne s'est jamais vu dans la fonction publique –, mais il faut leur laisser le temps d'arriver.
Le succès de la contrainte pénale dépend in fine d'un point inconnu, la façon dont vont s'en saisir les magistrats. La chancellerie parie sur une montée graduelle en puissance. L'étude d'impact de la loi estimait, au doigt mouillé, à 320 000 condamnations par an les peines qui pourraient relever de la contrainte pénale, dont 60 000 sursis mise à l'épreuve. Le nombre de contraintes pénales pourrait ainsi s'élever " entre 8 000 et 20 000 ". On conviendra que la fourchette est large.

Les peines planchers, très contestées, sont supprimées

LES FAMEUSES PEINES planchers sont supprimées à partir du 1er octobre, à la satisfaction générale du monde judiciaire. Ces peines minimales obligatoires pour les condamnés en récidive avaient été instaurées par la loi du 10 août 2007, à la demande du président Nicolas Sarkozy, qui tentait déjà de les imposer depuis 2003, lorsqu'il était ministre de l'intérieur. La loi avait été votée en urgence, sans étude d'impact, et le rapport de la commission sur la récidive, présidé par le professeur Jacques-Henri Robert, qui n'y était pas favorable, n'avait été prudemment rendu public qu'après le vote de la loi.
L'aggravation des peines pour les récidivistes, traditionnelle, remonte au premier code pénal français de 1791. Le premier accroc est intervenu avec le code pénal de 1994 : la première récidive n'était non plus calculée sur la peine prononcée, mais sur la peine encourue. Cela change tout : un homme, condamné pour la première fois à une amende pour un vol simple, risque théoriquement trois ans de prison : ce sont ces trois ans qui sont pris comme référence pour la récidive dans les cinq années suivantes.
Etre récidiviste engendre de sérieux inconvénients : le juge doit spécialement motiver les raisons pour lesquelles il incarcère un primo-délinquant, pas un récidiviste ; la durée de la détention provisoire est plus longue ; les pouvoirs du parquet (de l'accusation) sont étendus. En matière d'application des peines, le régime est plus restrictif, alors que le récidiviste a déjà été plus lourdement condamné. Le vote de la loi sur les peines planchers a encore alourdi le dispositif, et " marque une rupture historique ", selon la présentation très complète de l'avocat général à la Cour de cassation Jean-Paul Jean, en janvier 2013, devant la conférence de consensus sur la récidive.
Jusque-là, la peine maximale encourue était doublée pour un récidiviste, mais le juge déterminait lui-même la sanction la plus adaptée. Avec la loi sur les peines planchers, pour les mineurs comme pour les majeurs, le juge ne pouvait plus prononcer une peine inférieure à un plancher, sauf motivation spéciale, en bousculant le principe de l'individualisation des peines – ce qui n'a d'ailleurs pas bouleversé le Conseil constitutionnel. La loi a encore été durcie en 2011 (avec la Loppsi 2) en étendant le champ des peines planchers à certains… non-récidivistes.
L'efficacité de ces peines, théoriquement dissuasives, n'a jamais été frappante. La première année, en 2008, elles n'ont été appliquées en moyenne qu'une fois sur deux lorsqu'elles étaient possibles, et ont conduit à un emprisonnement ferme dans 37,3 % des cas. Il valait mieux tomber sur un juge à Paris (où elles n'étaient appliquées qu'à 34 %) qu'à Angers (68 %) ou Bourges (69,5 %). Le nombre de peines planchers n'a cessé de diminuer – en 2013, il était à hauteur de 37 %.
Ces peines ont été prononcées très majoritairement sur les plus petits délinquants (à 97 % pour les délits, et donc à 3 % pour les crimes). Elles ont été cependant sérieusement alourdies : la part de prison ferme est passée de 8,2 mois à 11 mois. La loi de 2007 a ainsi provoqué, à délinquance comparable, 4 000 années de prison supplémentaires. Sans influence notable sur le taux de récidive.
Franck Johannès.
Article publié dans le journal Le Monde du 30 septembre 2014. 

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