mercredi 10 septembre 2014

" Lettre A ", " Lettre de l'Expansion " : les têtes d'affiche de la presse professionnelle s'appuient sur le numérique

Ces titres au lectorat assez large ont mieux pris le virage du Web que le reste de la presse spécialisée


Les sites américains Politico et Quartz : voici les deux sources d'inspiration de Jean-Christophe Boulanger, président et cofondateur de Contexte, site d'information professionnel lancé fin 2013. Le premier, basé sur les abonnements, est incontournable à Washington, quand le second, gratuit, s'adresse à un lectorat plus large, intéressé par l'économie.
A leur image, Contexte se positionne à la croisée de la presse professionnelle et de la presse " grand public " sur le numérique. Ses journalistes s'adressent aux professionnels des politiques françaises et européennes avec des briefings quotidiens par e-mail, " lisibles au petit déjeuner, sur mobile principalement ", pour 480 à 1 490 euros par an, selon les offres.
En se lançant dans le 100 % numérique, Contexte fait un pari que peu de titres de presse professionnelle ont osé faire. Certains l'ont partiellement fait, comme le groupe Indigo Publications. Parmi ses dix titres, seuls La Lettre A et PressNews sont encore publiés au format papier.
Entre l'achat d'articles à l'unité, l'accès aux archives et les canaux verticaux par secteur ou par pays, Maurice Botbol, directeur de la publication d'Indigo, voit dans le Web l'outil qui lui a permis de faciliter la distribution de ses titres à l'étranger. Les formats numériques ont contribué à 84 % de la croissance du groupe en 2013, onzième année consécutive de résultats positifs avec un chiffre d'affaires de 3,4 millions d'euros, en hausse de 7 % par rapport à 2012.

 
" Trop d'éditeurs sont réticents face au numérique, analyse M. Botbol. Beaucoup croyaient que l'achat d'articles à l'unité cannibaliserait les abonnements. Or, ce sont des formats d'achats différents, pour des lectorats différents. " Et de citer les étudiants, les professeurs et les organisations.
Si le Web a permis de diversifier les offres de la presse professionnelle, ses revenus proviennent encore majoritairement des abonnements. En France, ils représentent 95 % des moyens de diffusion des titres de presse professionnelle recensés par l'OJD en 2013.
Pour Philippe Reiller, rédacteur en chef de La Lettre de l'Expansion, l'un des principaux défis est d'attirer de nouveaux abonnés avec le numérique, tout en gardant la " valeur haut de gamme " de la lettre hebdomadaire papier. Le titre souhaite conserver un rythme bimédia et n'envisage pas d'arrêter le papier, " qui continue de plaire au lectorat traditionnel malgré l'intérêt pour les contenus mobiles ", explique M. Reiller.
En quittant Euractiv pour lancer Contexte, Jean-Christophe Boulanger a pris le contre-pied du site d'information spécialisé dans les affaires européennes. Celui-ci, disponible en douze langues, est gratuit et se finance à plus de 40 % grâce au " sponsoring " de rubriques : la section " Santé et mode de vie " est financée par Sanofi, la couverture du développement est sponsorisée par la Fondation Bill & Melinda Gates.
Cela ne comporte-t-il pas un risque pour l'indépendance de ces rubriques, dont le nombre a tendance à s'élargir à mesure que de nouveaux partenaires apparaissent ? Pour Christophe Leclercq, fondateur d'Euractiv, " il faut bien distinguer le sponsoring de section, qui est ce que nous faisons, et le sponsoring de contenus, de plus en plus utilisé dans les médias et qui met davantage en danger l'indépendance éditoriale ".
M. Leclercq ne cache pas que certaines rubriques n'ont pu être créées que parce que des fondations proposaient de les financer. Seule condition pour les quinze sponsors du site, qui contribuent à 40 % des revenus d'Euractiv : la visibilité du sponsor sur le site et le montant du sponsoring – une entreprise ou une organisation paie ainsi 32 000 euros par an et par langue pour sponsoriser une rubrique.
Mais la bonne santé de ces têtes d'affiche généralistes ne doit pas dissimuler la difficile période de transition de milliers d'autres publications sectorielles. Parce que ces titres s'adressent à un lectorat de niche, ce qui limite le nombre d'abonnés et la couverture des sujets traités, les ressources consacrées au numérique sont souvent négligées ou inatteignables.
Pour Catherine Chagniot, directrice de la Fédération nationale de la presse spécialisée (FNPS), la presse professionnelle s'adapte moins bien au numérique que la presse dite grand public. " Le numérique est davantage vécu comme une contrainte que comme un avantage "pour les éditeurs, le lecteur de presse professionnelle moyen n'étant " pas prêt à ne payer “que” pour un PDF ".
Les 1 600 publications de presse professionnelle recensées par la FNPS, regroupées au sein de plus de 500 maisons d'édition – dont 40 % ont moins de cinq employés –, ont peu de moyens techniques et les sites " ne sont souvent que des vitrines ", indique la directrice de la FNPS. " L'état de santé de notre secteur est méconnu des pouvoirs publics qui pensent que la presse professionnelle survit très bien à la crise ", affirme Mme Chagniot.
Une quinzaine de titres auraient été supprimés en 2013, selon elle, ce qui confirme une tendance déjà esquissée par l'OJD sur les dix dernières années : parmi les 240 publications professionnelles recensées en 2003, 99 avaient disparu en 2013.
Elian Peltier
Article publié dans le Journal Le Monde du 11 septembre 2014.

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