mercredi 10 septembre 2014

Contre le chômage, les étudiants incités à entreprendre


Un nouveau statut offre des cursus aménagés et un accompagnement pour créer son activité


Une poignée d'heures, à peine, qu'ils sont entrés à l'université de Poitiers. Fraîchement bacheliers et désormais étudiants de première année de droit, ils prennent note, avec le sérieux des bonnes résolutions estivales, des différents services que leur offre la fac. Quand, soudain, une question leur fait redresser la tête : " Certains d'entre vous ont-ils un profil entrepreneur ? Un projet, quel qu'il soit, de création d'entreprise ou d'association ? "
Ceux-là, leur explique-t-on, seront les bienvenus au Pépite, le tout nouveau Pôle étudiant pour l'innovation, le transfert et l'entrepreneuriat. Et pourront bénéficier d'un statut adapté " qui permet de réaliser projets et études en même temps ". Suit un petit film, sur une musique enlevée et un ton incitatif. Il est question de " maximiser ses chances de succès ", de " coworking ", de financements, de partenariats…
Tout en bas de l'amphithéâtre, deux jeunes filles à la mise soignée chuchotent, interloquées. " C'est trop tôt, tout ça, c'est pas pour nous. Faut avoir un parcours professionnel, un bagage… " Ce sont justement ces idées reçues que tente de combattre l'université, qui entend" diffuser l'esprit d'entreprendre ", dès la rentrée, auprès de tous ses étudiants de licence. Leurs camarades de master 1 et 2 auront, eux, droit à encore mieux durant l'année : des conférences-témoignages animées par de jeunes entrepreneurs.
Nouveautés de la rentrée universitaire 2014, le statut d'étudiant-entrepreneur et le fonctionnement à plein régime des Pépites, à Poitiers comme dans vingt-huit autres grands sites d'enseignement supérieur, témoignent de la volonté gouvernementale de faire de la création – ou de la reprise – d'entreprise par les jeunes un axe de lutte contre ce chômage qui les touche durement. Une idée d'application pour smartphone a émergé d'une conversation de fin de soirée entre copains ? Tout étudiant de l'université de Poitiers ou des écoles d'ingénieur et de commerce qui l'environnent, et même un jeune diplômé (jusqu'à 27 ans), peut frapper à la porte du Pépite, né ce printemps et désormais opérationnel.
Il trouvera des interlocuteurs compétents pour en discuter. Pour le rassurer, d'abord, ce dont les étudiants français ont tout particulièrement besoin. Oui, on peut créer son activité et échouer, ce n'est pas grave ni noté, c'est même plutôt constructif. Et non, pas besoin pour se lancer de dix années d'expérience professionnelle. Des tuteurs, enseignants et entrepreneurs, seront là pour le guider. L'expérience qui fait défaut se forgera vite en concevant le projet.
" On propose d'abord à l'étudiant un entretien pour déterminer ses besoins immédiats,détaille la responsable du Pépite, Sandra Choisy. On le familiarise avec les différentes étapes du parcours de création. Ensuite, on le met en réseau, et on l'oriente vers un incubateur puis vers les chambres de commerce ou de métiers, les banquiers… Il sera en confiance et il sera bien reçu, puisqu'il n'arrivera pas en disant “J'ai une idée”, mais en parlant viabilité et rentabilité… "
Le nouveau statut dérogatoire d'étudiant-entrepreneur est censé faciliter ce passage de l'idée au projet. Les jeunes gens retenus par un comité de sélection, et qui signeront une charte d'engagement, bénéficieront, comme les sportifs de haut niveau, d'un aménagement de leur cursus : choix des horaires de travaux dirigés, exemptions de cours, contrôle final et non continu, année de césure, période de " stage " consacrée au projet. Sans compter l'accès à un espace de travail commun, avec ordinateurs, photocopieuse et petits bureaux pour téléphoner et recevoir.
Bref, tout ce qui a manqué à Guy Le Charpentier et Nicolas Roumagne, à peine trentenaires et cofondateurs de l'entreprise ReSanté-Vous, en 2011, alors qu'ils étaient encore en master " Ingénierie de la rééducation et du handicap " à l'université de Poitiers. Ils emploient désormais quinze personnes en CDI et dégagent 700 000 euros de chiffre d'affaires en proposant aux établissements pour personnes âgées dépendantes leur équipe thérapeutique pluridisciplinaire, ainsi qu'une formation au vieillissement grâce à une combinaison qui le simule.
" A l'époque de la création, ça ne faisait pas vraiment sérieux de recevoir les médecins dans notre colocation ! Si on avait eu ce statut, on aurait gagné du temps. On en serait peut-être au double de salariés aujourd'hui. " Bien que soutenus par l'ancêtre du Pépite poitevine, créée dès 2000, les deux jeunes gens se sont sentis " un peu extraterrestres "" On voyait bien les sourires en coin. Tout le monde s'attendait à ce qu'on se plante. Et nous, on se répartissait les cours et on fonçait prospecter les clients à l'autre bout du département entre midi et deux. " Ereintant.
L'équipe pédagogique ne s'est pas montrée très regardante sur leur présence en TD, ni sur le fait qu'ils créent une association pour effectuer en son sein leur stage de six mois et se consacrer pleinement à leur projet d'entreprise, chacun devenant le tuteur de stage de l'autre – et lui décernant une appréciation flatteuse !
" Ce statut d'étudiant-entrepreneur va nous permettre d'en finir avec le bricolage administratif ", apprécie Mme Choisy. Il rassurera les parents, souvent rétifs : leur enfant ne lâche pas ses études pour entreprendre, et il sera accompagné. Les projets de création d'activité sont désormais reconnus, valorisés, légitimés. Ils peuvent même rapporter des " crédits " pris en compte dans le parcours d'étude, ou mener à un diplôme d'établissement de créateur d'entreprise – qui offrira aussi aux jeunes déjà diplômés une couverture sociale étudiante.
Combien, parmi 48 000 étudiants (de Poitiers, Limoges, La Rochelle) qui peuvent s'adresser au Pépite de Poitiers, postuleront à ce statut plutôt attractif ? Dix ? Cinquante ? L'équipe chargée de les accueillir n'en a aucune idée. Mais elle se réjouit déjà de n'avoir aucun mal à recruter des enseignants pour jouer les tuteurs. La constante mise en avant des créations d'activité possibles dans le secteur de l'économie sociale et solidaire a sans doute compté pour beaucoup…
" L'entreprise n'est plus le diable. Il y a une évolution chez les professeurs. Si certains ne sont toujours pas convaincus, ils ne monteront pas au créneau ", témoigne Philippe Lagrange, le doyen de la faculté de droit et sciences sociales, pour qui acquérir une culture entrepreneuriale à l'université est une " très belle idée ". Jusqu'à présent, les étudiants ne dévoilaient souvent leur double vie de créateurs d'entreprise qu'une fois diplômés, ne voyant même pas l'intérêt d'en parler à leur professeur. C'est aussi cela que le nouveau statut devrait changer.
Pascale Krémer
Article tiré du Journal Le Monde du jeudi 11 septembre .

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