dimanche 21 septembre 2014

Sorties scolaires : des décisions au cas par cas pour les mères voilées

En Seine-Saint-Denis, chaque école se donne sa règle, alors que le Conseil d'Etat a précisé que les parents ne sont pas tenus à la neutralité religieuse

En cette rentrée scolaire, Khadija Souiri a bon espoir de pouvoir prendre part aux activités dans l'école de son petit dernier. Cette maman trentenaire du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis) a entendu dire qu'à la maternelle Jean-Macé les mères étaient autorisées à participer aux sorties scolaires avec le voile. L'une d'elles a accompagné les enfants au zoo de Vincennes au printemps et s'est inscrite à la cueillette des pommes d'octobre. En revanche, Mme Souiri sait qu'il lui sera impossible de suivre son aîné de 7 ans : l'école Jules-Guesde, de son côté, soumet les parents accompagnateurs au principe de neutralité religieuse.
En Seine-Saint-Denis, comme ailleurs, la situation est kafkaïenne : chaque école fait comme elle l'entend. Ici, on invoque tel règlement, là, telle loi ou telle circulaire. Si bien qu'au Blanc-Mesnil 28 écoles – sur 33 – interdisent aux mères voilées d'accompagner les sorties scolaires. A Aulnay-sous-Bois, toutes les écoles les acceptent ; à Montreuil, 3 les refusent…
Ce flou a conduit le SNPDEN, principal syndicat des chefs d'établissement, à exiger des directives précises : " Nous n'apprécions pas la façon dont les responsables politiques fuient la question pour ne pas faire de vagues. Les établissements n'ont pas à prendre des décisions qui ne leur appartiennent pas ", s'agace Philippe Tournier, son secrétaire général.
Interrogée par Le Monde début septembre, la ministre de l'éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, a déclaré être sur la même ligne que le Conseil d'Etat. Dans son avis du 19 décembre 2013, celui-ci tranche sur le fond : les parents ne sont ni des " agents ", ni des " collaborateurs " du service public, mais des " usagers ".
Ils ne sont donc pas concernés par l'" exigence de neutralité religieuse ". La seule restriction pourrait être le trouble à l'ordre public et au bon fonctionnement du service. C'est sur ce point que Najat Vallaud-Belkacem comme son prédécesseur, Benoît Hamon, s'appuient pour appeler les enseignants au " discernement " et prôner le " cas par cas ". C'est aussi ce point qui sème la confusion et conduit à l'arbitraire.
En Seine-Saint-Denis, courant juin, des parents ont eu vent d'un " règlement type des écoles " en préparation à la direction académique du département, interdisant aux mères voilées de participer aux sorties – comme le prévoit la circulaire Chatel de 2012. Ce règlement a été validé le 23 juin.
Qu'y lit-on ? Il rappelle d'abord l'avis du Conseil d'Etat, puis, au paragraphe suivant, dit l'inverse : " S'agissant des parents d'élèves qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, ils doivent faire preuve de neutralité dans l'expression de leurs convictions, notamment religieuses. " Donc la circulaire Chatel " reste valable ".

Résultat : la communauté musulmane mais aussi des associations, des syndicats, des intellectuels dénoncent toujours une discrimination islamophobe. Et les mères le vivent de plus en plus mal. " Jusqu'à la rentrée 2012, raconte Khadija Souiri, j'ai toujours participéaux activités de l'école, comme ma mère le faisait pour moi il y a vingt ans, sans que cela ne gêne personne. Comme mes horaires de travail étaient souples, on me sollicitait tout le temps, pour les fêtes, les sorties, les kermesses… Du jour au lendemain, on m'a exclue. "
Avec d'autres parents, en novembre 2013, elle décide alors d'alerter tous les échelons de la hiérarchie de l'éducation nationale, jusqu'au bureau du directeur académique, Jean-Louis Brison. Deux réunions se tiennent avec des mères de différents collectifs. M. Brison les rassure : " Tous les parents, quelle que soit leur tenue vestimentaire, peuvent accompagner les sorties scolaires, dès lors qu'ils s'abstiennent de tout prosélytisme politique, religieux, syndical ", leur aurait-il déclaré.
A la suite de cette réunion, cinq écoles du Blanc-Mesnil lèvent l'interdiction. Pas l'école Jules-Guesde. " Le directeur m'a confié qu'il ne savait plus quoi faire, puis il a continué à appliquer la circulaire Chatel ", soupire Mme Souiri. Un matin, elle voit une affiche sur la porte de l'école : " Manque d'accompagnateur pour la sortie scolaire ". Une semaine plus tôt, elle s'était proposée à deux reprises. Elle est écœurée, même si les autres parents la soutiennent. Et sidérée du double discours de l'éducation nationale.
Côté enseignants, chacun y va de son interprétation. " Personnellement, je ne vois pas pourquoi on exclurait des parents qui font l'effort de s'investir ", confie l'un d'eux sous couvert d'anonymat. " Il ne s'agit que de nous aider à surveiller les enfants ! ", rappelle un autre. D'autres considèrent, à l'inverse, qu'il est de leur devoir d'exclure. Avec parfois des méthodes pour le moins discutables.
C'est ainsi qu'Anissa Fathi, une mère de Montreuil, membre du collectif " Mamans toutes égales ", découvre un jour, dans l'ancienne école de son fils, que tous les parents n'ont pas le même mot dans le carnet de correspondance : " Mardi matin, les enfants iront au théâtre des Roches ", pouvait-elle lire sur le sien ; " Pouvez-vous nous accompagner ? ", était-il ajouté sur celui d'une mère non musulmane de sa connaissance.
Tous les directeurs d'école contactés renvoient la balle à la direction académique, laquelle ne s'est pas exprimée – " Madame la ministre ayant déjà répondu ". En aparté, certains critiquent " l'ambiguïté " de la situation. L'un d'eux lâche : " La neutralité religieuse, c'est la loi. Je l'applique. "
Or, précisément, la circulaire Chatel n'est pas une loi. " Une circulaire n'a aucune valeur réglementaire ", rappelle Bernard Toulemonde, juriste et inspecteur général honoraire de l'éducation nationale. " De plus, il s'agit d'une circulaire de rentrée 2012, valable pour la seule année 2012-2013. Quel sens a-t-elle encore aujourd'hui ? On peut se le demander. "
Quelle que soit la réglementation, Mme Souiri ne sait plus si elle a envie de s'investir dans l'école. Leïla (elle n'a pas souhaité donner son nom), elle, y a renoncé. Ancienne parent d'élèves du Blanc-Mesnil, elle a déménagé il y a un an dans le Val-d'Oise. Là, pas de problème, elle a le droit d'accompagner les sorties. " Sauf que je ne peux plus. J'ai un blocage ; l'exclusion m'a fait trop de mal. C'est comme si j'avais été licenciée de l'école pour faute grave. "
Aurélie Collas
Article publié dans le journal Le Monde du 21 septembre 2014.

1 commentaire :

  1. Cela a déclenché un débat intéressant lors d'une session de formation, si vous avez d'autres points de vue ....n'hésitez pas .

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