lundi 15 septembre 2014

Question de droit social : Travailler sur son ordinateur personnel est-il risqué ?

Nombre de collaborateurs suréquipés en technologies dernier cri préfèrent travailler sur leur propre " portable ". Des sociétés encouragent désormais cette pratique, dite Bring Your Own Device (BYOD), en français Apportez Votre Equipement personnel de Communication (AVEC). Ils espèrent ainsi davantage de productivité, moins de détériorations, peut-être une discrète externalisation des coûts, et une durée du travail sans vraie limite avec ce total mélange professionnel/personnel.

Le BYOD est un symbole de l'indispensable révolution intellectuelle provoquée par l'irruption des TIC dans notre droit conçu pour un travail manuel, accompli " au temps et lieu de travail " sur des machines difficiles à emporter. Sachant que moins de la moitié des possesseurs de smartphones en font une utilisation exclusivement personnelle, faut-il construire une usine à gaz juridique pour encadrer ce joyeux mélange, considéré comme naturel par les travailleurs du savoir de la génération Facebook ?
" Anytime, Anywhere, Any device " ? Le BYOD pose de redoutables questions. La sécurité informatique, qui effraie nombre de directeurs des systèmes d'information pour lesquels BYOD signifie plutôt " Bring Your Own Disaster ". Et le respect des données personnelles, auxquelles la Commission nationale de l'informatique et des libertés prête une grande attention (voir son enquête 2014 sur www.cnil.fr). Elle exclut la pratique du BYOD pour les collaborateurs de passage : stagiaires, travailleurs temporaires.
Répartir les charges
En droit du travail, cette pratique est soumise au droit commun. Mais est-il adapté ? Coûts d'achat, d'abonnement ? " Les frais qu'un salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle et dans l'intérêt de l'employeur doivent lui être remboursés "(CS, 2 avril 2014). Un avenant au contrat doit prévoir une répartition des charges, et des plages de déconnexion. Car " le temps de repos suppose que le salarié soit totalement dispensé, directement ou indirectement et sauf cas exceptionnels, d'accomplir pour son employeur une prestation de travail, même si celle-ci n'est qu'éventuelle " (CS, 10 juillet 2002). Très attachés aux temps de repos et de vie privée, nos juges n'hésitent pas, y compris pour les cadres en forfait jours, à sanctionner les entreprises soumettant de facto certains collaborateurs à une astreinte permanente.
Enfin, ne s'agissant plus de matériel professionnel mais de propriété du salarié, le contrôle de l'employeur est très limité. Il ne peut avoir accès à tout moment à son contenu, présumé personnel, ni exiger sa restitution en cas de départ.
Bilan donc mitigé, des deux côtés.
Jean-Emmanuel Ray, professeur à l'Ecole de droit de Paris-I - Sorbonne

Article publié dans le journal Le Monde du 16 septembre 2014.

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