lundi 1 septembre 2014

POLITIQUES PUBLIQUES | CHRONIQUE Les 35 heures, une passion française

Et voici donc rouvert le débat sur les 35 heures… Que pourrait-on attendre d'un énième assouplissement ? Pas grand-chose. Peu de dirigeants d'entreprise ont envie de se lancer dans la galère d'ouvrir un tel front, surtout avec des carnets de commandes vides. Les exonérations Sarkozy sur les heures supplémentaires avaient bien rencontré un certain succès, mais au même moment la tendance était plutôt à la baisse du temps de travail en Europe, jouant un rôle – certes mineur – de modération du chômage.
Une fois évacuées les comparaisons fallacieuses, les Français travaillent banalement autant, en moyenne, que les Britanniques ou les Allemands. En revanche, l'organisation sociale du temps – temps partiel des femmes, temps scolaire et professionnel des jeunes, synchronisation des moments sociaux comme… le déjeuner – diffère d'un pays à l'autre ; son impact économique est difficile à cerner. De toute manière, il n'y a aucune corrélation entre la compétitivité ou le dynamisme d'une économie et la durée individuelle du travail. Il en est de même pour le travail le dimanche : il est rare outre-Rhin, répandu outre-Manche.
Alors, pourquoi de tels débats en France ?
Remontons le temps. L'approche du premier conflit mondial avait créé une coalition favorable au dimanche chômé : jour du Seigneur pour l'Eglise, de repos pour les syndicats… et les militaires, inquiets de voir se dégrader la santé de la jeunesse laborieuse destinée à nourrir les bataillons de la revanche. Puis, à la sortie de la guerre, la journée de 8 heures s'est imposée sans vraie difficulté. Les 40 heures du Front populaire sont un tournant. L'ensemble des arguments avancés aujourd'hui – pour et contre la réduction du temps de travail (RTT) – sont déjà en place. Les discussions à gauche fleurissent : la RTT, pour les ingénieurs des mines et des manufactures, limiterait la production. C'est Paul Reynaud, à droite, qui en fait un marqueur idéologique, à l'approche du second conflit mondial : la France ne peut se permettre les 40 heures " dans l'Europe d'aujourd'hui ". Argument repris par l'accusation vichyste au procès de Riom contre Léon Blum. Pendant les " trente glorieuses ", les 40 heures n'empêchent pourtant pas un recours massif aux heures supplémentaires.
La droite aussi…
La crise change la donne. C'est paradoxalement la droite – Chirac puis Barre – qui presse les partenaires sociaux de négocier une baisse des durées maximales de travail, avec succès. Le temps partiel pour les femmes est un des points du programme de Giscard en 1981. François Mitterrand, lui, promet les 35 heures : 1 heure de baisse par année de législature. Mais les socialistes se déchirent sur l'opportunité d'une RTT dont les effets sur l'emploi sont incertains. La promesse est enterrée au bout d'un an.
C'est encore la droite qui relance la RTT avec la loi Robien, et se piège elle-même : impossible dès lors de contrer la proposition Jospin des 35 heures en 1997. Mais à peine la loi Aubry 1 est-elle votée en 1998 que des voix à gauche s'élèvent : on va vers le plein-emploi (sic), il faut éviter des tensions sur le marché du travail ! Résultat, la loi Aubry 2 assouplit le calcul de la durée du travail, ce qui permet à nombre de branches de réduire de l'ordre de 2 heures et non de 4 heures la durée réelle du travail, et crée les cadres " au forfait jour ". La droite, de son côté, renoue alors avec un argumentaire à la Paul Reynaud. La suite est connue.
Peut-être est-il temps de revenir à une idée simple : la durée du travail et son organisation sont une dimension essentielle des conditions de travail, de la santé et, in fine, de la performance des Français. Et non un marqueur idéologique.
par Philippe Askenazy
© Le Monde 2/09/2014

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